
Hello !
Je viens de rentrer des Pyrénées alors évidemment, j’ai deux, trois choses à vous raconter… Je ne vous cache pas que je rentre un peu déçu de cette nouvelle expérience. Enfin, carrément déçu !
Le 31 mai, j’ai été candidat à l’émission « Tout le monde veut prendre sa place » sur France 2. La diffusion a eu lieu ce 13 juillet. Alors que le stress, monumental, m’a fait oublier tout ou presque de cette après-midi dans les studios d’Effervescence, alors que j’ai la ferme intention de ne pas regarder l’émission de peur d’avoir l’air d’un sombre idiot, je finis par regarder… Les candidats, lorsqu’ils se présentent, racontent une anecdote qu’ils ont vécue. J’ai donc raconté, à Laurence Boccolini, ma volonté de vaincre le Mont Blanc et mon traumatisme lors de mon arrivée au sommet du Néouvielle en septembre 2022. Depuis, j’ai couru le Marathon des Villages et celui de Montauban au mois de mars. Alors que je me prépare à l’idée de préparer le prochain Marathon des Villages en octobre, je réalise que j’ai fait de la course une priorité et que je n’ai plus trop pensé aux Pyrénées ces derniers temps. Pourtant, il y a bien cette volonté tenace de faire l’ascension du Mont Blanc. J’éteins la télé et je commence à cogiter.

Le 18 juillet, je réalise que je vais avoir, dans cinq jour, un week-end sans Aubin, je me lance donc à la recherche d’un 3000 facile à grimper. Après avoir lu quelques comptes rendus, je jette mon dévolu sur le pic du Taillon qui culmine à 3144 mètres. Jamais je ne suis monté aussi haut. J’achète la carte IGN de Gavarnie, je lis le plus de récits possible, je regarde des vidéos sur Youtube, bref, j’étudie mon sujet à fond. Je ne suis encore jamais parti seul dans les Pyrénées sans me perdre. C’est facile d’avoir un moment d’inattention ou de partir en se disant qu’il suffira de suivre les cairns… Je veux apprendre cette ascension par cœur. A force de lire des comptes rendus, je réalise que beaucoup considèrent le Taillon comme le 3000 le plus facile des Pyrénées, et à mesure que les heures passent, je ne suis pas certain de vouloir me contenter de ça.
Il se trouve que depuis l’arrête sommitale du Taillon, il est possible de rejoindre les pics Gabietous. Le Gabietous Oriental, 3031m et le Gabietous Occidental, 3034m. Je décide donc, la veille de mon départ, de rajouter ces deux pics à mon excursion, pour une journée qui devrait osciller entre dix et douze heures de marches. Alors tout ça, c’est bien beau, mais si j’apprends bien à repérer les Gabietous depuis le pic du Taillon, il semble que je ne prenne pas trop la peine d’en étudier le parcours… Légère omission qui, quoi qu’il en soit, ne changera finalement pas grand chose à mon excursion.
22 juillet 2023, mon réveil sonne à 3h30, je le repousse à 40. Comme d’habitude, je n’ai pas très bien dormi. Je prends une douche en express et enfile une tenue de running avec une veste et un coupe vent. Je mets mes chaussures de trail, je charge mes affaires, mon sac de rando, plus léger que jamais, ma tente et mon sac de couchage, parce qu’il n’est pas question de faire le retour après l’ascension de trois pics, je bivouaquerai au col des Tentes, point de départ de la rando. Je démarre la voiture à 4 heures.
Je fais un stop unique sur l’aire du Cœur d’Aquitaine pour le traditionnel Redbull et je quitte l’autoroute après Pau, direction Lourdes. Je ne suis pas spécialement superstitieux, mais… Si je suis totalement superstitieux. Sur la départementale, Juste après avoir quitté Lourdes, un oiseau vient percuter mon pare brise alors que je roule à 90. Déjà que c’est assez traumatisant sur le coup, je me mets en tête que, percuter un oiseau à la sortie de la ville qui me semble être la plus pieuse de France, ça n’augure rien de bon. Voilà qu’à présent je me vois dévisser de l’ultime crête qui mène au sommet du Taillon.
C’est avec cette vision d’horreur que j’arrive à 7 heures au parking du col des Tentes à 2208 mètres d’altitude. Le parking est presque plein et de nombreux randonneurs ou alpinistes sont en train de se préparer… Depuis le col des tentes, il est possible d’aller randonner au cœur de Gavarnie, de faire l’ascension du Taillon, des Gabietous, mais aussi de nombreux 3000 comme le Casque du Marboré, 3003m, que je projette de faire lors mon prochain passage dans les Pyrénées. S’il fait beau, il fait aussi très froid. J’enfile ma veste et mon coupe vent, je charge mon sac à dos sur les épaules et quitte le parking du col des Tentes. Et oui, pour une fois, je sais exactement où aller. Je repère tout de suite le Taillon. Grace à sa longue arrête sommitale, il est facilement reconnaissable…

Je m’engage sur une voie goudronnée et profite de la vue superbe. C’est toujours une belle émotion de se retrouver au cœur des Pyrénées. Une à deux fois par an, ça rend la chose assez rare pour qu’elle reste exceptionnelle.

Alors que j’arrive au bout de la voie goudronnée, je sais, puisque je l’ai appris par cœur, qu’il va falloir faire le tour du Taillon en le contournant par la droite. Bordel, heureusement qu’il y a un peu de monde et que personne ne cherche à aller sur la droite. Je les suis donc sur la gauche, un peu inquiet de réaliser que je n’ai peut être pas aussi bien appris ma leçon que prévu.
Quelques minutes après le col de Boucharo, j’arrive à la cascade alimentée par le glacier du Taillon. De ce que j’ai lu, la traversée de la cascade est l’un des passages qui demandent la plus grande attention. Le débit d’eau peut être impressionnant et les roches sont très glissantes. Alors que je n’ai encore aucune sensation de vertige, je cherche la chaîne qu’il faut attraper pour traverser la cascade avec plus de sécurité. Je ne la trouve pas mais le débit ne me semble pas plus impressionnant que ça. Il n’y a personne, et je n’ai pas vu où les randonneurs devant moi avaient traversé. Je me lance. C’est effectivement très glissant et je n’ai pas d’autre choix que de mettre la totalité de mon pied droit dans la flotte pour trouver la stabilité. Question d’habitude, je sais que d’avoir le pied trempé ne me pénalisera pas plus que ça pour la suite. Et il faut voir le bon côté des choses, mon pied gauche est tout sec! Enfin, pour l’instant…
Un peu de grimpette après la cascade et je le vois enfin, juste au dessus du glacier du Taillon, le « Doigt de Dieu », plus communément appelé « Doigt de la fausse Brèche ». L’agnostique que je suis préfèrera l’appeler « Doigt de Dieu ». Et vous comprendrez bientôt pourquoi… J’ignorais tout de son existence, mais cet énorme et magnifique rocher, au fil de mes lectures, est devenu une véritable fascination, suscitant chez moi un mélange d’émerveillement et d’angoisse. Parce que je sais déjà que quand je serai arrivé au Doigt de Dieu, les choses devraient se compliquer pour moi.

Après une heure et trente minutes de marche, j’arrive au refuge de la Brèche de Roland. Brèche qui suscite également beaucoup de fascination chez moi. Je l’ai toujours vu depuis le Néouvielle. Cette montagne coupée en deux. Minuscule depuis le massif du Néouvielle, aujourd’hui, je vais passer à travers, et j’attends ça avec une grande impatience.

La légende dit que Roland, le neveu de Charlemagne, par peur de voir les Sarrasins, en pleine bataille de Ronceveaux, s’emparer de son épée, Durandal, aurait tenté de la briser sur un rocher, créant ainsi la Brèche. L’épée n’aurait pas eu la moindre égratignure. La Brèche de Rolland fait 40m de large pour 70m de haut. Maintenant libre à chacun d’y croire, mais pour ma part, j’apprécie la tournure poétique de cette Brèche sublime qui semble totalement irréelle.

Après le refuge, je prends la direction de la Brèche de Roland. C’est parti pour une ascension très raide et surtout très casse-gueule à travers de petits cailloux extrêmement glissants. L’ascension se fait au son de petits éboulis de pierres constants. A mi chemin entre le refuge et la Brèche, je fais l’erreur de me retourner. Le vertige vient à l’instant de frapper à ma porte. La côte est raide, sans le moindre rocher pour m’asseoir et sur ces cailloux qui roulent, je n’ai aucun point d’ancrage. Car le problème est là et ça, je l’ai compris il y a quelques semaines lors d’une séance chez mon nouveau podologue. Je vous épargne les longues explications de mon podologue mais de façon générale, j’ai besoin d’ancrage. Et c’est vrai que quand j’ai le vertige, j’ai besoin que le sol soit solide, sécurisant et il faut que j’en sois le plus proche possible. C’est pourquoi en montagne, je peux me retrouver accroupi ou à quatre pattes. C’est également pour cette raison que si je vois un rocher solide, j’ai besoin de poser ma main dessus. Les progrès que j’ai fait ces sept dernières années sont considérables. On ne me trouvera plus à quatre pattes, mais là, à cet instant présent, alors que je sais très bien que je ne vais pas rouler, et que si ça arrive, ça sera sans danger, je ne peux pas m’empêcher de paniquer. Je sais surtout qu’une fois que j’ai commencé à avoir le vertige, la sensation ne me quittera plus. Je savais que ça allait arriver mais je ne l’attendais pas avant le Doigt de Dieu. Ca pourrait se compliquer. La montagne me paraît tellement instable.
J’arrive à la fin de cette ascension, soulagé. On pourrait me plaindre pour la descente au retour mais étrangement, je ne ressens plus, ou presque plus, le vertige sur les trajets retour. J’ai du mal à me l’expliquer. Certes, ce sont des itinéraires que j’ai pris à l’aller, je sais comment revenir, mais le vide est le même, voir beaucoup plus fort… Je sais que dans quelques heures, en haut de cette côte raide, avec la vue du vide en face, la sensation sera totalement différente.


Aucun des récits que j’ai lus ne mentionnait la traversée d’un glacier en dessous de la Brèche. Ou peut être que si, peu importe. Je sais que la neige, ça m’angoisse un peu… C’est un terrain où il est tellement facile de perdre la stabilité. Ici, ça va, c’est sans danger. Les nombreux randonneurs, lors de leurs passages, on fait une trace bien marquée. Le glacier est au cœur d’un vaste replat. J’enfonce mes pieds dans la neige et ne glisse à aucun moment. Aucun danger, aucun vertige. Pour l’instant…
Une fois sorti du glacier, je reprends mon ascension de la Brèche à travers de gros rochers, le terrain que je préfère. Une corniche apparait sous mes yeux. J’ai horreur des corniches à flanc de montagne. C’est traumatisant pour moi. Et pour ajouter au traumatisme, la corniche en question se trouve sur le glacier. Elle fait quelques mètres à peine, mais c’est déjà trop. Je la regarde un long moment. Je n’ai pas le choix. Je dois passer par là si je veux continuer… En 2017, j’ai déjà fait demi tour à cause de ce genre de passage. Il est temps de me prouver que j’ai fait des progrès. Allez Joss ! Je ne regarde pas en bas, je reste penché sur ma droite, j’ai besoin de toucher la neige du flanc avec la main. Mon cœur s’emballe, j’ai mal au ventre mais ça passe… Ouf. Je vous le dis d’entrée, pour le retour, j’ai franchi ce passage tranquille, sans me poser la moindre question.

Et me voilà parti pour l’ascension finale de la Brèche de Roland. Cette fois, il faut escalader, s’aider des mains mais ça se fait sans la moindre difficulté. J’adore ça. Je vais enfin traverser la Brèche qui, tout d’un coup, me paraît immense. Je n’avais jamais imaginé qu’elle pourrait être aussi grande.

Une fois sur la Brèche, je sais que je dois aller vers la droite et raser à flanc de montagne jusqu’au Doigt de Dieu. Mais il faut que je vois sur la gauche. De ce côté, les alpinistes vont faire le Casque et la Tour du Marboré. Si je rêve de faire le Casque, c’est parce que juste après la Brèche de Roland, à gauche, commence le Pas des Isards. Ca fait longtemps que je rêve de faire le Pas des Isards. C’est une petite corniche à flanc de falaise avec un câble. En gros, si tu lâche le câble, tu meurs. Je regarde les alpinistes, ils sont trop loin. Difficile de se rendre compte, mais ça paraît déjà violent.

Alors, à l’instant où j’écris ces mots, je rêve toujours de franchir le Pas des Isards, mais maintenant que je l’ai vu de mes yeux, je n’en fais plus une priorité absolue. Le Casque du Marboré ne sera pas mon prochain 3000. Une chose est sûre, il ne faudra pas que je sois seul. Il y a beaucoup de monde sur la Brèche et je profite de voir un groupe de quatre personnes partir vers le Taillon, pour les suivre. On continue donc à droite de la Brèche en longeant le flanc de la montagne. A présent que mon vertige a été mis en éveil, l’exposition est plus compliquée. Mais heureusement, le chemin est facile. De gros rochers stables me permettent de faire un break. Je commence à avoir la tête qui tourne et je réalise que je n’ai toujours pas bu la moindre goutte d’eau, ni mangé. Ca fait plus de deux heures que je suis parti du col des Tentes et je n’ai ni faim ni soif. Je bois quelques gorgées et me force à manger trois pâtes de fruits. Bon et une quatrième parce que c’est bon. Je reprends la marche et ne tarde pas à voir enfin le Doigt de Dieu. J’en ai tant rêvé et cauchemardé ces derniers jours que cette rencontre était devenue indispensable.

A mesure que je m’approche, je réalise à quel point il est grand. Je ne m’attendais pas à ça et je ne peux m’empêcher de penser que personne ne voudrait prendre ce Doigt dans le cul. Oui j’ai besoin de penser à autre chose, je pressens que ça va se corser pour moi. J’arrive au pied de l’immense Rocher de vingt mètres qu’il faut contourner par la droite, et je me trouve maintenant devant sa grotte qui me glace le sang. En juillet 1992, Johannes Schmidt y est mort foudroyé. Une plaque commémorative a été scellée au pied du Doigt. Johannes s’était abrité dans la grotte avec son frère, sa sœur et ses parents qui étaient revenus à Gavarnie fêter le 18ème anniversaire de leur fils qui avait été conçu dans ces lieux.
Je m’approche de la grotte, il fait tout noir à l’intérieur et je n’ai pas vu que quelqu’un est déjà en train de visiter les lieux. Je m’éloigne. La base du doigt ferme le chemin. Il faut l’escalader. Je regarde et je ne sais pas si je dois escalader par la gauche ou la droite. Je pose les mains sur une première prise, je me ravise. Je n’ai pas du tout envie de monter et de me retrouver exposé. Alors que je me décale vers la droite, le visiteur de la grotte s’approche de moi. Il voit que je ne suis pas du tout à mon aise. Je lui demande quelle langue il parle, il est espagnol. Je lui dis juste « tengo vértigo ». Il comprend que ça va pas. Il tente de me parler anglais, je lui dis que je comprends très bien l’espagnol. Il me demande de me placer plutôt sur la gauche et il commence à me guider, à me dire où me diriger et m’indique comment redescendre. Je le remercie mille fois. et continue ma route.
Je fais quelques mètres à peine. Je suis à nouveau bloqué. Alors que je vois à présent la totalité de l’itinéraire restant pour aller au sommet du Taillon, je suis obligé de m’asseoir. A 20 mètres de moi, je ne vais pas pouvoir passer.

Rien que la vue du passage, extrêmement délicat à mes yeux, nécessite que je sois assis. Je pourrais en perdre l’équilibre. Je me relève. « Allez Joss, tout le monde y arrive, c’est sans danger. » Je m’approche, je redescends vers la droite, non, ça ne va pas le faire. Je rebrousse chemin et retourne m’asseoir. J’ai trop peur
Rien que la vue du passage, extrêmement délicat à mes yeux, nécessite que je sois assis. Je pourrais en perdre l’équilibre. Je me relève. « Allez Joss, tout le monde y arrive, c’est sans danger. » Je m’approche, je redescends vers la droite, non, ça ne va pas le faire. Je rebrousse chemin et retourne m’asseoir. J’ai trop peur

Et même après ce petit passage, il y a cette espèce de ligne qui s’apparente à une corniche… Je ne peux pas. Si je peux. Je souffle, je ferme les yeux. Je suis dos au Taillon, face au Doigt de Dieu. Je me relève, je m’approche du Doigt. L’espagnol qui m’a aidé à grimper la base a disparu. Est ce qu’il redescendait du Taillon ? Et si Dieu existait ? Et si c’était vraiment son doigt ? Après tout, un Messager est sorti de la grotte du Doigt de Dieu pour m’indiquer mon itinéraire. Si j’étais croyant je saurais peut-être interpréter les signes. Est ce que pour une fois, je ne pourrais pas remettre mes croyances en question ? Ne pourrais-je pas envisager une protection divine dans la suite de mon ascension ? Je dois y croire. Une fois seulement… De nouveau, je tourne le dos au Doigt et m’avance vers le passage qui est en train de me tétaniser. Je descends vers la droite. Non pas cette fois. Pas encore. Je fais demi-tour, je vais aller m’asseoir. Je suis prêt à faire cinquante tentatives s’il le faut, mais j’irai tout en haut. Aucune négociation possible.
Alors que je m’avance vers mon rocher, je croise un jeune homme. Il me demande si c’est beau là haut. Je luis réponds que j’ai le vertige, je lui montre le passage et je lui explique que je suis coincé. Il comprend, c’est pas le genre de chose qui le met particulièrement à l’aise mais ça ne lui fait pas peur. On discute un moment et il me propose de le suivre. Je le suis. Nous n’arrêtons pas conversation. Alors que Baptiste m’explique qu’il fait ses études à Montréal et qu’il passe l’été en France, pour voir sa famille, faire des 3000, alors qu’il me raconte le Turon du Néouvielle effectué la veille, je réalise que tout danger est à présent écarté. Parce que oui, l’air de rien, sans y songer, nous avons passé cette corniche qui tétanise depuis de longues minutes. Maintenant, c’est facile jusqu’au sommet. Je ne sais pas si Baptiste aussi sortait de la grotte, je ne sais pas ce qu’il se serait passé s’il n’avait pas été là, mais après une raide et longue ascension, nous voilà à 3144m, au sommet du Taillon.

Des nuages bloquent la vue, il fait très, très froid mais c’est une ascension réussie. En revanche, je ne pensais pas qu’elle serait aussi traumatisante. Je me sens à l’aise au sommet parce que c’est un sommet vaste et mon premier réflexe est d’aller repérer les pics de Gabietous. Je pourrais me trouver beaucoup d’excuses. Oui j’ai mal à tête, oui ça fait quelques jours que mon adducteur droit me fait la misère, oui à cause du vertige j’ai beaucoup fléchi les jambes et j’ai mal aux genoux, mais la vérité, c’est que je n’ai pas le courage de prolonger mon ascension. Il n’est que 11 heures, j’ai le temps mais je flippe. Baptiste parcourt le Taillon en large et en travers, moi je ne bouge plus.




Après de très longues minutes passées au sommet du Taillon, je décide d’entreprendre la descente. J’ai du mal à repartir satisfait et j’en ai marre d’avoir de telles limites liées à la peur du vide. Je comprends que je n’arriverai jamais à totalement guérir. Quoique… Depuis quelques temps on me parle de l’hypnose… Est ce que ça fonctionnera sur moi ? Je suis prêt à le tenter… Ne même pas tenter l’ascension du Gabietous Oriental est un véritable échec.
J’attaque la descente très confiant avec une vue imprenable sur le vide. Mais ça ne me fait que peu d’effet. Je ne sais pas encore que le pire est à venir… J’arrive à un endroit où je dois me serrer pour laisser les monteurs passer. Ils sont très nombreux et je me lance dans une grande tirade des « bonjour ». Je suis super à l’aise et ce n’est qu’en voyant la vidéo que je réalise que je suis au beau milieu du passage qui aurait pu me faire abandonner, juste après le Doigt de Dieu. Je ne me souviens même pas d’y être passé au retour. Ca a probablement été très facile.
Pas le moindre problème donc pour franchir de nouveau ce passage, pas le moindre problème pour franchir le Doigt. Je me retrouve toujours étonné de cette facilité pour effectuer les retours. La Brèche, le glacier que je n’ose pas descendre sur les fesses, et je le regrette. La descente vers le refuge, sur les petits cailloux, me fait taper deux fois le cul par terre, c’est rigolo. Bref, je ne suis plus le même. Attention quand même, je suis à l’aise mais je prends mon temps, je continue de faire attention à mes appuis, je pose mes mains, le problème est encore présent. Je fais de longues et nombreuses poses, un abruti d’oiseau me chie sur l’oreille, tout va pour le mieux. Mais le Soleil, de plus en plus fort, est en train de faire fondre le glacier et la cascade n’a pas le même visage qu’à l’aller. Tout le monde semble paniquer, personne n’est sûr de où il faut passer. Je m’assois un long moment pour regarder toute la file d’attente se lancer dans la traversée. Certains ripent, d’autres flippent, tout le monde se mouille. J’aurais dû y aller direct, ne pas attendre que tout le monde passe. Voir l’incertitude et le malaise des gens renforce mon incertitude et mon malaise. J’avais pris la confiance et je ne m’attendais pas à jouer ma vie à une heure de ma voiture. Je ressens de nouveau le vertige et le mal être, encore plus qu’à l’aller c’est horrible. J’ai déjà ressenti ça il y a plusieurs années. Cette volonté d’être partout, sauf dans les Pyrénées. Cette envie de partir, de rentrer chez moi, de trouver un point d’ancrage. Il n’y a pas de point d’ancrage en altitude, et c’est ça probablement ce qui m’attire autant dans la montagne, mais là c’est trop. Je reste peut-être une heure, incapable de m’élancer, mais je n’ai pas le choix alors je me décide.
J’arrive au bord de la cascade. Je visualise, elle s’est élargie. Je pose le pied gauche sur une pierre humide et je balance mon poids en avant pour poser les doigts de la main gauche dans la faille d’un gros rocher. Je lève le pied droit, j’ai mal au genou, je n’arrive pas à le lever suffisamment haut et il traverse le cœur de la cascade. Ma jambe est entraînée par la force de l’eau, je serre les doigts dans la faille. Mon cœur bat la chamade. Je suis pétrifié. J’ai ressenti la force de l’eau, j’ai senti ma jambe partir et si je n’avais pas été agrippé à la roche, je serais parti avec… Je ne cherche plus à ménager mes pieds. Le droit dans la flotte d’urgence, le gauche aussi. ils sont mouillés, je m’en moque. Je suis traumatisé. Je reste un moment de l’autre côté. Une gamine arrive avec ses parents, je flippe pour eux, d’autant que je suis convaincu d’avoir lu qu’il y avait une chaîne à l’endroit où il fallait passer… On s’est tous suivis mais on n’est pas au bon endroit. La mère passe, les pieds trempés. Le père ne sait pas comment gérer avec la gamine, je le comprends. Il choisit la sécurité, tant pis pour les pieds de la fillette, il la met dans la flotte, l’attrape et la soulève au dessus de la cascade, la mère la récupère. Tout le monde est trempé.
Traumatisé, je descends au pas de course, je double tout le monde, j’ai besoin de ma voiture comme point d’ancrage. J’ai envie de partir.
Encore une fois, j’ai vécu beaucoup d’émotions, beaucoup de déception, et si je devrais savourer la victoire du Taillon, je garde l’amertume du reste. Je ne ferai probablement jamais les pics de Gabietous mais il est temps de me projeter sur le prochain 3000… Parce que oui, maintenant que je suis chez moi, assis sur mon canapé, en train d’écrire ses mots, je n’attends plus qu’une chose : revenir dans les Pyrénées, me faire mal, me faire peur et surtout, me vaincre.
L’été n’est pas terminé.
XOXO
