2024·BLOG·Course à pied

Marathon des Villages 2024

Hello

Noël approche, et si je dois bilanter cette année 2024, je peux déjà vous dire qu’elle écrase toutes les autres. 2023 était l’année des échecs, de la perte de ma mamie… Une année extrêmement compliquée que j’avais hâte de mettre de côté. Deux échecs sur les marathons de Montauban et des Villages, un échec sur le semi Bazas-Langon et enfin, un échec sur l’ascension du Pic des Spijeoles. Ma seule satisfaction avait été d’arriver au sommet du Taillon.

Au mois de juin, j’ai battu mon record sur 10 km lors de la Cavale des Rapetou. Record qui n’a pas tenu longtemps, puisqu’une semaine plus tard, je l’ai de nouveau battu lors de la Run For Planet de Talence. Deux courses extrêmement difficiles qui m’ont permis de prendre un peu d’assurance, huit mois après ma désastreuse tendinite qui a causé mon pire temps sur marathon lors du marathon des Villages 2023. Le 17 septembre, j’ai réussi l’ascension du pic d’Anie, et le 5 octobre, celle de la Table des 3 Rois. Depuis que je me suis lancé dans la course à pied et la conquête des Pyrénées, je n’ai jamais connu une année sans échec. J’ai eu de belles victoires, mais les victoires sont éphémères face à la force des échecs.

Nous sommes en juin. Je viens de publier mon article « 2×10, l’année commence en juin » Dans cet article, j’évoque deux nouveaux objectifs, à savoir, le 24h de Villenave d’Ornon en équipe et la nouvelle édition du marathon des Villages. Mais à l’heure qu’il est, je suis sur un petit nuage. Je partage un pique nique avec Aubin et les Rapetou qui ont fait la sortie trail/canoë ce matin. Nous sommes au bord du Ciron, à Bommes. Je profite d’un doux moment d’utopie. Entre la Nouvelle de Maupassant et le tableau de Manet. Nous sommes le 16 juin et je ne sais pas encore que je vais me prendre l’uppercut de ma vie.

Avec Aubin à Bommes

Je travaille chez Kiabi. Vous savez « la mode à petits prix ». Le mois dernier, j’ai reçu un trophée, une récompense pour mes quinze années passées dans l’entreprise. C’est un truc qu’on a toujours su faire chez Kiabi, mettre les collaborateurs « au cœur ». Le bien être dans l’entreprise est primordial et j’adhère totalement aux valeurs de Kiabi. Je suis un kiaber fier (prononcez kiabeur). Et je contribue à faire rayonner la marque autour de moi. Depuis quelques années, je suis gestionnaire de flux. C’est un métier qui me tenait à cœur. Je suis actif, toujours à 100 à l’heure et ce métier me permet de mettre mon dynamisme à l’épreuve. Avec une moyenne de 15000 pas quotidiens, des charges à soulever tous les matins, mon sport est fait chaque jour. Et j’adore ça.

Nous sommes en pleine préparation des soldes qui vont débuter le 26 juin. Mais depuis quelques jours, une rumeur plane. Je n’y prête pas oreille. Je suis convoqué par ma leader et j’apprends que les postes de gestionnaire de flux et visuel merchandiser vont être supprimés au sein de l’entreprise. Nous ne savons pas encore comment se fera la transition. Je ne réagis pas. On a déjà vécu cette situation il y a quelques années. Les personnes concernées avait conservé leur statut. J’imagine qu’il va se passer la même chose pour moi. On ne recrutera plus de gestionnaire de flux, mais ceux en place, vont conserver leur place. Je ne m’alarme pas le moins du monde. Après tout, Kiabi est une entreprise qui bichonne ses salariés. On attend d’en savoir plus…

Mais les rumeurs vont bon train. On parle d’un « licenciement massif ». Les jours passent et je commence à m’inquiéter. On évoque une réunion avec les syndicats pour négocier nos renvois, et j’apprends le 2 juillet que l’on va me proposer d’être rétrogradé au statut d’employé sur un poste de conseiller de mode en horaires modulés. « Conscient que ces évolutions peuvent impacter votre quotidien, vos horaires pourront être aménagés pendant une durée de 3 mois afin de vous permettre de vous réorganiser […] Tout refus fera l’objet d’un licenciement dans les conditions précisées dans l’accord de performance collective signé le 28 juin 2024. »

Non. Je ne peux pas accepter ça. A l’heure qu’il est, j’ai des horaires fixes et un week end sur deux pour profiter d’Aubin. Si j’accepte, je n’aurais plus qu’un week end tous les deux mois. Je partage déjà trop peu de temps avec Aubin… Et puis redevenir conseiller de mode, non, je n’en ai pas la moindre envie. Et cette rétrogradation de statut… C’est humiliant.

Je suis viré.

Trophée des 15 ans chez Kiabi

C’est totalement incompréhensible. Sans Aubin, j’aurais pris le temps de la réflexion, mais là non, c’est pas possible. Je ne pourrai plus aller le chercher à l’école quand ça me chante. Depuis sa naissance, je n’ai jamais posé une seule journée pour une sortie scolaire ou pour participer au moindre évènement qui serait tombé pendant mes heures de travail. Fidèle et loyal, je pense que ça me définit bien. Et les gens fidèles et loyaux, on peut leur faire ça ? Je veux dire, on peut leur distribuer un trophée et leur demander de partir ? Qui fait ça ? Enfin, je me suis toujours donné à fond. J’ai toujours voulu être quelqu’un sur qui on pouvait compter et on me fout dehors comme une sombre merde ? Le travail que j’ai fait pour Kiabi pendant 16 ans, ce travail, ça comptait pas ? On me vole ça. On me souille et on me vole ça. C’est totalement incompréhensible. Et puis il n’y a pas que moi, on est plus de 300 dans cette boucle. Je veux dire, on parle de vies humaines, on rigole pas avec ces choses là. Surtout dans une entreprise qui affiche toujours des résultats records et qui se vante de se porter bien dans un secteur pourtant compliqué. Une entreprise qui s’affiche à la télé comme une fierté française en quête permanente d’éloges.

Je ne pardonne pas la trahison. Jamais. Et ça, je ne le pardonnerai pas.

Entretiens, courriers, mon préavis de licenciement ne se terminera qu’au 3 novembre. Je vais devoir travailler la boule au ventre. Travailler pour cette boîte qui me traîne dans la boue. Cette boîte convaincue que me virer est une solution bénéfique à long terme. Faire semblant. Profiter des derniers moments, penser à demain. Ce demain qui, pour la première fois, s’écrit avec un point d’interrogation. J’ai l’avantage de travailler avec des gens que j’aime, qui m’aiment, qui me soutiennent. Personne n’est responsable, ça vient de plus loin. Je suis dispensé de toute présence chez Kiabi pour mon dernier mois de préavis. Tenir jusqu’au 3 octobre…

C’est la tempête du siècle. Je suis sensible au vertige et à mesure que les jours passent, c’est bien cette même sensation qui est de plus en plus saisissante. Je ne dors plus. Me voilà sous antidépresseurs. Parfois je pleure. Mais il faut relativiser, mes 3 semaines de vacances avec Aubin approchent. Et puis ce sont peut être des portes qui vont s’ouvrir pour moi. Chaque année son lot de drames. Je n’ai pas la tête à courir. Je n’ai pas envie de préparer un 24h, je n’ai pas envie de préparer un marathon. Je sombre. Chaque jour un peu plus. Encore.

J’essaye de courir. De faire des sorties longues. Toutes mes courses se soldent par un échec. 20km au bois de Thouars le 12 juillet. J’ai pas la tête à ça. Mais je n’ai pas le choix. Les vacances vont vite arriver. Trois semaines pendant lesquelles je ne pourrai pas courir. Le 24h, c’est le 30 août. Je ne le préparerai pas comme j’aurais aimé le préparer. Je vais essayer de m’accrocher aux branches. Sauver les meubles. 17km le 19 juillet. Aucune motivation. Je fais quelques sorties courtes aussi. Le mercredi, avec les Rapetou. 15km le 26 juillet. Je n’arrive pas à faire plus c’est une catastrophe. Mais ça y est, je suis en vacances.

Il était temps qu’elles arrivent ces putains de vacances. Trois semaines avec Aubin. Il est hors de question que ces moments soient gâchés par Kiabi. Nous sommes le 27 juillet et au mental ou au miracle, je ne vais plus penser à Kiabi pendant trois semaines merveilleuses entre les Pyrénées et Sanguinet. Je reviens sur ces vacances dans mon article sur le pic d’Anie. La dinguerie d’Aubin qui a fait l’ascension du pic de Berbeillet. La plage, Bordeaux, je passe peut-être les plus belles vacances de ma vie.

Avec Aubin sur le pic de Berbeillet

Le 18 août, la veille de reprendre le travail, je fais une sortie de 15km. 20km le 24 août, nous sommes à J-7, je me force, pas envie de courir, pas envie de travailler, envie de pas grand chose. Enfin si. Les Pyrénées. Depuis mon séjour avec Aubin, je ne pense plus qu’aux Pyrénées. Je regrette de ne pas avoir trouvé le temps de faire une rando, une ascension. Avec le 24h et le marathon, c’est mort à présent. Je me suis tiré une balle dans le pied. Et l’idée de ne pas retourner dans les Pyrénées me fait sombrer un peu plus. Je n’arrive plus à travailler. Je ne ris plus comme avant.

Le 27 août, je vais récupérer les dossards pour mon équipe, la team JM4EVER au stade Trigan de Villenave d’Ornon. Le 28, Aurora n’est pas à l’entraînement, mais nous faisons le point avec Christelle et Jean-Marie qui est la star de l’équipe. Il débutera et finira la course. Nous ferons des cycles d’une heure. Jean Marie à 10h, moi à 11h, Aurora à midi, Christelle à 13h et ainsi de suite pendant 24 heures. Ca se concrétise. Moi qui avait la tête ailleurs, je rentre sous pression et passe une nuit horrible. Je n’arrive plus à gérer. Tout se bouscule dans ma tête. Je ne supporte plus de travailler. Mon médecin me met en arrêt pour la totalité du mois de septembre.

30 août : Il est 16h15. Je monte dans ma voiture après avoir quitté Kiabi. Je retiens mes larmes. Fini les pauses à déjeuner à rire aux éclats. Tous ces visages quotidiens, familiers, bienveillants, mon cocon vient de s’embraser. Et demain à 10h, je vais entamer la plus grosse dinguerie de ma vie. Je pars à Sanguinet. Aubin est toujours en vacances avec ma famille, et à cet instant c’est ce visage que j’ai envie de voir, ce corps que j’ai envie de serrer dans mes bras, parce que c’est maintenant que tout bascule. Je viens d’entamer une chute vertigineuse. Et si finalement ce 24 heures était la plus belle des façons de tourner la page…

Tout bascule

31 août : Ca fait plusieurs jours que mes yeux sont rivés sur la météo. Il va pleuvoir tout le weekend. J’ai pris un anti dépresseur à mon retour de Sanguinet. Après des nuits d’insomnie, je ne pouvais pas me louper sur cette nuit là. Mon réveil sonne à 8h00, j’ai dû en dormir autant. Mes affaires sont déjà prêtes. J’arrive à Villenave d’Ornon, au stade de Trigan à 9h15. Je suis le dernier. Jean Marie, Aurora et Christelle sont en train de décharger leurs voitures respectives au bord de la route. Je me gare un peu plus loin. Je décide de laisser ma tente dans ma voiture et de ne pas m’encombrer plus que ça. J’ai déjà un sac à dos, un sac de voyage et un gros shopping bag.

Merde on y est. Je ne sais pas du tout à quoi m’attendre. Je ne connais pas ce format de course. 24h, même en relais, ça semble être quelque chose. Après un calcul rapide, sachant que je vais courir 6 heures, je vise entre 60 et 70km. La fourchette est large, mais ce matin, avec le manque de préparation, j’espère surtout être en capacité de boucler tous mes passages. C’est loin d’être gagné. Je redécouvre le stade. Sur la pelouse extérieure, des tentes sont montées derrière les stands. Jean Marie m’explique le parcours. C’est une boucle de 1,100km qui fait des zigzags sur la piste d’athlétisme. Aurora et Christelle montent chacune leur tente. J’installe ma chaise de randonneur à côté de la table sur laquelle des denrées sont mises à disposition. A droite, une équipe d’hommes de Saucats, ils sont 8. A gauche, 3 jeunes bazadais et leur coach. Beaucoup de coureurs sont habitués à ce format de course. Dont Jean Marie qui fait ça au moins une fois par an. Le plus souvent, en solo. Je ne suis pas au mieux de ma forme. La tension accumulée ces dernières semaines me cause de vives douleurs au ventre.

Avec Christelle, Jean Marie et Aurora avant le départ

10h. C’est parti. Sous un Soleil de feu, Jean Marie s’élance au milieu des coureurs. Les solos sont nettement plus nombreux. Courir 24h consécutives, je leur laisse. La météo a changé. A la place de la pluie, il devrait faire très chaud toute la journée. Nous encourageons Jean Marie à chaque fois qu’il passe devant notre stand.

11h. C’est mon tour. Pas question de perdre une minute. A quelques mètres de notre table, je décroche la puce de Jean Marie pour l’accrocher à ma cheville. Il commence vraiment à faire chaud. Ma première boucle me permet de découvrir le parcours mais aussi les emplacements des stands des solos, de la cantine, des douches, des toilettes et du ravitaillement en eau. C’est un énorme dispositif qui est mis en place. Je boucle ma première heure avec 12,9km au compteur. Si c’est un bon démarrage, une douleur m’inquiète. J’ai une barre au milieu de la poitrine. Comme si elle était coincée dans un étau. Je l’ai ressentie sur les deux premiers kilomètres avant qu’elle s’adoucisse.

12h. Aurora s’élance, elle est en pleine forme. Elle a préparé ce 24h. Sous une chaleur de moins en moins tenable, nous décidons de changer nos plans. Après le passage de Christelle, nous ferons des cycles de 30 minutes afin d’être moins impactés par la chaleur.

13h. C’est donc autour de Christelle qui, elle aussi, semble en forme. Après son passage, il nous restera encore 20h de course. Je ne peux pas m’empêcher de faire des calculs. Je ne me sens pas bien. Trop de choses d’un coup, et pour mon premier 24h, les conditions n’auraient pas pu être plus chaotiques. Hier, je tournais une page de 16 ans. C’est impensable.

Je vous épargnerai le récit détaillé de ce 24h qui aurait peut-être mérité un article à lui seul. Tout au long de cette journée, il y a eu des hauts et des bas. Enfin, surtout des bas pour moi. Nous avons eu la visite de nombreux Rapetou histoire de remonter un peu le moral. La chaleur n’a fait que s’intensifier jusqu’à la fin de l’après-midi où nous avons enfin pu reprendre nos cycles d’une heure. A chacun de mes passages, j’ai subi un peu plus. Ma douleur à la poitrine n’a fait que s’intensifier, causant une gêne atroce. Je me sens au bord de l’explosion. Ca fait des semaines que j’ai envie de hurler, je me retiens de craquer. Finalement, courir, c’est aussi le meilleur moyen de ressasser. De revivre tour après tour, ma dernière journée chez Kiabi. De la ressentir à la poitrine. Je pourrais craquer à tout moment.

Sous la chaleur

Et tout d’un coup, il commence à faire froid. La nuit est tombée sur le stade. L’ambiance change, la musique s’arrête. Toujours des encouragements. Plus discrets. J’ai du mal à manger. Je sens que je pourrais vomir à tout moment. Je suis fatigué. Au loin, l’orage gronde. Ici, les gouttes tombent. Je suis le premier à les recevoir sur la piste. Le vent… Les barrières tombent les unes après les autres. Pourquoi je suis là ? Je cours, j’ai froid, je suis trempé. C’est le tour d’Aurora. l’orage approche, la pluie s’intensifie. Sous notre abri de taule, nous sommes obligés de mettre les affaires en hauteur. Nous ne sommes plus à l’abri nulle part. Nos tee-shirts ne sècheront plus. La foudre tombe à côté, elle pourrait mitrailler le stade. Les organisateurs font évacuer les coureurs. Jean Marie dort sous la tente. Aurora quitte la piste, elle va sous la deuxième tente. Comment pourrais-je dormir dans ces conditions ? Avec Christelle et l’équipe de bazadais, nous regardons la pluie tomber, nous prenons le vent en pleine face. Le stade est désert, chacun s’abrite comme il peut. je profite d’une accalmie pour regagner les vestiaires et prendre une douche. Un homme est en larmes. La tête entre les mains, il subit sa course. La douche est bouillante, impossible de rester dessous, je fais aussi vite que possible. Alors que je me rhabille, on apprend que la course reprendra dans 15 minutes. L’orage s’éloigne.

C’est Christelle qui s’élance. Jean Marie sortira de la tente 15 minutes avant de s’élancer. Quant à moi, je me force à manger des coquillettes jambon, fromage. Je m’élance en boîtant, barre sur la poitrine. L’horreur. Je fais de moins en moins de kilomètres. Je n’en peux plus. La nuit commence. Je vais dans ma voiture. Il faut que je dorme. Je n’arriverai pas à fermer les yeux. Je reste quand même deux heures dans la voiture. Je suis trempé. Je n’ai même plus envie de me changer. J’avais tellement sous évalué ce format. Peut être pas pour moi. La pire météo possible, la pire préparation, je passe à côté. Et quel dommage. Parce que oui, l’ambiance est folle, les équipes autour de nous sont géniales. Nous encourageons les bazadais avec la même ardeur que pour les membres de notre propre équipe. Mais il est temps que ça s’arrête. Je cours ma dernière heure avec un soulagement total. Pour la fin, à cause de l’interruption de cette nuit, il faudra qu’on fasse chacun 15 minutes pour recaler et arriver au terme des 24 heures. La team JM4EVER totalisera 210,31km, quant à moi, 67,82km sur 6h09 de course.

Je récupère Aubin à l’arrivée de la course et nous quittons le stade. Je n’ai jamais été autant fatigué. A chaud, je viens de vivre l’horreur. Une expérience de plus, mais loin de moi l’idée de retenter une telle course.

La course est finie

Mercredi 4 septembre. Ca fait quatre jours maintenant. Ce matin, je me réveille avec l’envie de revenir en arrière. Une envie inespérée de revivre ce 24h que j’ai fait dans les pires conditions physiques possibles. Je sais de quoi il s’agit à présent. Et pourquoi pas tenter l’expérience en solo ? Ca y est, j’ai éliminé les courbatures, mais je ressens encore la fatigue de la course. 10 jours de repos pas plus. Il y a un marathon qui approche, avec un gros point d’interrogation : tendinite ? L’an dernier, j’ai fait le marathon des Villages en boîtant. Tendinite du péronier latéral. Depuis le 24h, si elle ne représente pas une gêne, la douleur est réapparue. Elle sommeille et menace mon épreuve à venir.

Je reprends le 10 septembre avec les Rapetou. Je pars du principe qu’avec 67km cumulés en 24h, le gros de la prépa est fait. Je me trompe. 10 jours, de repos, c’est clairement pas suffisant et après une heure de course, toutes les courbatures du 24h sont de retour. J’ai les jambes lourdes et je subis. Ca risque d’être compliqué. Et psychologiquement, avec ce que je traverse, je ne peux pas me permettre de préparer un marathon avec toutes les contraintes que ça engendre. Je rêve de passer sous les 3h30, je n’en démords pas. Mais je suis trop fragile pour me mettre les barrières que ça impose. L’an dernier, la prépa des Villages m’a fait rentrer dans un état dépressif, cette année, j’y suis déjà avant même d’avoir commencé. Pour Aubin, pour moi, je ne peux pas me permettre d’aggraver cette situation. Ok pour un marathon, ok pour une nouvelle préparation, mais pas de contrainte.

Après tout j’ai besoin d’une chose, une seule qui pourrait me faire aller mieux. Les Pyrénées. J’y pense tous les jours et je profite de deux jours de beau temps les 17 et 18 septembre pour aller faire le pic d’Anie et la passerelle d’Holzarte. Voilà ce dont j’avais besoin. Deux jours dans les Pyrénées. Là bas, je me sens mieux. Je pourrais passer ma journée à Larrau devant cette passerelle absolument magnifique, mais j’ai réussi à me remotiver, et ce soir, c’est les fractionnés. Je rentre illico pour une séance douloureuse et épuisante. Je sais que l’ascension du pic d’Anie a plus contribué à saboter ma préparation qu’autre chose, mais je n’aurai aucun regret.

Sur le pic d’Anie

Dans une douleur monstrueuse, j’attaque le vif de la préparation avec une sortie longue de deux heures le 20 septembre. Je fais 24,7km. C’est extrêmement dur. Entre le 24h et le pic d’Anie, je ne sais pas comment récupérer mais je ne peux plus arrêter. La machine est lancée. Mais comme cette machine est sans contrainte, je prends deux cuites ce week end là. Une le vendredi soir, une le samedi soir. Avec la tendinite qui menace, alors que je devrais faire 5 sorties par semaine, je décide de me limiter à 3. La douleur se réveille peu à peu. Je ne garde que les sorties essentielles. Une longue, une de fractionnés et une de côtes. Je ne pouvais pas mieux m’auto-saboter. Surtout, pas de regret.

2h30 le 27 septembre, pour 30,1km. Les jambes lourdes, je peine à maintenir l’allure et la distance. Le 4 octobre, je fais une nouvelle séance de 2h30 qui me permet d’atteindre 31,9km. Il y a du mieux sur la course, mais pas sur le moral. Alors que je viens d’achever mon article sur le pic d’Anie, je me suis remis les Pyrénées dans la tête. Mais cette fois, ce n’est plus le moment. Il y fera beau demain. Mais les courbatures… Tant pis. Le bien-être avant tout. Le 5 octobre, je m’élance à l’assaut de la Table des Trois Rois avec mes courbatures. Au terme d’une randonnée éprouvante de onze heures, je suis lessivé. Mais surtout, en redescendant du lac de Lhurs avec Elisabeth et Daniel, mon pied gauche a mal géré une pierre. Si j’ai eu peur pour ma cheville, c’est surtout ma tendinite qui est en plein réveil et qui est peut être en train de m’annoncer la couleur du marathon des Villages. Je prends la décision, comme l’année dernière, de lever le pied. J’en ai fini avec les fractionnés.

Sur la Table des Trois Rois

8 octobre : Ce matin, j’accompagne Aubin à l’école. Les enfants de sa classe vont fêter les anniversaires de septembre. Je passe donc la matinée dans la classe d’Aubin avec une maman. Nous allons préparer des gâteaux aux pommes. Aubin est en grande section et ça fait deux ans que je rêve de passer ce genre de moment avec lui. Aujourd’hui, pour rien au monde je n’échangerais ma place… Reboosté, je réalise mon dernier long le 12 octobre avec une course de 2 heures pour un cumul de 24,4km.

Si les souvenirs de l’année dernière me reviennent en pleine face, la douleur n’est pas aussi intense. Je ne boîte pas encore. J’arrive à courir une heure le 16 octobre et 45 minutes le 17. Et alors que je rêve de Pyrénées, la pression monte doucement pour cette course qui sera mon 6ème marathon. A la veille de m’élancer, oui, la douleur est présente, oui j’ai tout saboté dans les Pyrénées, oui je manque d’entraînement, et oui, je rêve encore de passer sous la barre des 3h30. Il y aura les côtes, il y aura l’escalier au 40ème kilomètre, il y aura la douleur, mais avant tout, il y aura la détermination, celle de l’outsider. Demain : Je vais tout donner et quoiqu’il arrive, quelque soit le temps, je rentrerai avec ma médaille pour profiter de 10 jours de vacances avec Aubin.

20 octobre 2024

Ce matin, mon réveil n’a même pas besoin de sonner, je viens de dormir sept heures. La technique de l’antidépresseur, la veille d’un évènement, fonctionne à merveille. Mes affaires sont déjà prêtes.

Mon camelbak est chargé de gels au citron, de chewing gum, et d’une poche d’hydratation de 2 litres. Chaque marathon, c’est le même problème, je pars avec 1 litre et je suis assoiffé au 30ème kilomètre. Cette année, hors de question de subir. Je mange des pancakes, je bois un redbull. Aucun jugement merci. Et je pisse tout ce qu’il est possible de pisser. A partir de maintenant, plus question de boire la moindre goutte. Incapable d’uriner dans un lieu public, c’est psychologique, imaginez l’horreur de partir avec une vessie pleine. Je l’ai déjà vécu sur mon premier marathon. J’ai toujours une canette qui m’accompagne quand je fais plus d’une heure de route. Mais pas les jours de marathon.

Je suis négatif. Convaincu que je ne vais pas atteindre mon objectif. Je me cherche toutes les raisons de l’échec. La réapparition de ma tendinite qui est de plus en plus vive, le manque de préparation au profit des Pyrénées, ces courbatures qui n’en finissent jamais, la fatigue, et j’en passe… La vérité, si toutes ces choses sont bien réelles, la pression est montée d’un cran hier. J’ai juste une putain de boule au ventre, et si je reste dans cet état d’esprit, je vais dans le mur. 1h20 de route. Je compare mon meilleur et mon pire marathon. Le meilleur, c’était les Villages en 2022, le pire, c’était les Villages en 2023. En 2022, j’étais bien, j’ai souri pendant 42km, j’ai tapé dans toutes les mains d’enfants tendues au bord de la route, j’ai gardé un esprit positif pour trouver la voix du succès. En 2023, j’ai fait la gueule, j’ai touché personne, j’ai gerbé et je suis rentré dégouté. Je suis sur une belle année, une année de victoires, la seule chose que je veux éviter, c’est l’écœurement. Quoiqu’il arrive, je dois me donner les moyens de profiter, de ne pas regretter et de rentrer heureux. La solution : positive attitude. Déjà, je stoppe ma playlist « jours de pluie » au profit de « variété française » et je chante. C’est un début.

« Voyage voyage, plus loin, que la nuit et le jour. » Il est 8h10 quand je me gare à proximité du marché de Piraillan à Lège Cap Ferret. Le départ sera donné ici. Aujourd’hui, nous serons 8 Rapetou sur le marathon des Villages. Aurora, Christelle, Julien, Jean-François, Xavier (que je ne verrai pas de la journée) et moi pour la course en solo. Magali et Sandrine pour le duo. En remontant vers la place du marché, je trouve Jean-François à côté de son camping car. Il est le véhicule le plus proche du départ. Je me demande un instant s’il n’est pas arrivé la semaine dernière. A cet instant, je ne sais pas du tout qu’il est engagé sur le marathon. Il m’avait dit qu’il essaierait de venir nous encourager, je mets plusieurs minutes à comprendre qu’il va faire la course. Petit à petit l’équipe se retrouve au complet. Christelle, Magali et Sandrine vont aller voir la plage, Jean-François va se préparer, Aurora et Julien vont s’échauffer. Aucun de ces programmes ne me convient, j’irai voir la plage après la course, et m’échauffer avant un marathon ? Non, ça sera 42 kilomètres, pas un de plus. Je décide d’aller vapoter autant que je peux. Chaque bouffée de nicotine contribue à atténuer la puissance de la boule que j’ai dans le ventre.

Rendez-vous à 9h pour la photo d’équipe. J’ai assez fumé. A tel point que je n’ai plus de boule au ventre. Je viens d’éliminer le stress, et je vais vite comprendre que c’est une erreur. Je retrouve les Rapetou pour la photo. Eric et Coco, un des couples du club, sont venus nous encourager. Sur la piste cyclable, lors de mon dernier long, le 12 octobre, j’ai croisé Eric. C’est un homme extrêmement positif. Il m’a dit ce jour là qu’ils essaieraient de venir nous encourager. Ils l’ont déjà fait lors du 24h de Villenave. Nous discutons un moment.

Nous sommes trois à avoir un objectif. Aurora voudrait faire ce premier marathon en moins de 4h. Julien, qui fait aussi son premier marathon, a le même objectif que moi, 3h30. Mais il a beaucoup travaillé ces dernières semaines et n’a pas pu préparer la course. Julien, c’est un rapide. Plus jeune que moi, il est habitué aux podiums sur des formats courts. Clairement, c’est le mec que j’évite de suivre pendant les fractionnés. Mais aujourd’hui, nous avons le même objectif. On va voir si on arrive à courir à la même allure, on essaiera de tenir le plus longtemps possible ensemble. On décide de se rendre sur le départ avant l’annonce officielle. Ne pas être loin de la ligne et se tenir à droite, le premier virage étant à droite. Jean-François prendra le départ tout seul, plus en retrait.

Aujourd’hui, la météo est parfaite. Il fait ni froid ni chaud, et le Soleil ne percera jamais les nuages. Ici, c’est un rituel. Tous les ans, à 9h28, cette musique orchestrale qui fait monter l’émotion, les frissons, l’adrénaline et le décompte, « 10, 9, 8… » En 2022 et 2023, j’avais eu un incroyable boost d’adrénaline. Cette année, la vapote, l’habitude, je sais pas… Rien. Absolument rien ne monte en moi. J’ai mon doigt sur la montre, prêt à appuyer, c’est un départ mécanique.

Km 1 : 4’30 Ne pas se mettre en difficulté et prendre de l’avance. Pour boucler en 3h30, il faut courir à 5 minutes au kilomètre. Le calcul est super facile. A 6km, quoiqu’il arrive il faut être sous les, 6×5, 30 minutes. Je ne me tordrai pas la tête à faire des opérations comme c’était le cas en 2022. Nous sommes partis vite. Un peu trop. Julien me dit 13km/h. Je suis plus habitué à tourner à 12,5. Surtout avec la montée qu’on vient de faire. C’est quand même fou cette faculté que j’ai. C’est la 3ème fois en moins de trois ans, et j’ai cette incroyable faculté de tout oublier. D’oublier que ce marathon n’est composé que de cotes et de descentes. Si j’excelle dans les descentes tant que mes pieds me le permettent, je dois me ménager dans les cotes. Et ce sac de deux litres, on en parle ? Je suis en train de boire, pas parce que j’ai soif, j’ai le chewing gum qui régule ma salive, non, je bois pour m’alléger. Et je me dis que peut être, il aurait été judicieux de tester ce poids sur mes épaules avant de partir. Pas que ce soit lourd, mais extrêmement gênant.

Km 2 : 4’49 C’est trop lent. Et alors, ces douleurs… Intérieur cuisses, juste au dessus des genoux. C’est pas des douleurs de course. Je ne ressens rien ici quand je cours. Par contre, quand je vais dans les Pyrénées, quand je fais des squats. Bordel! J’ai fait des squats il y a deux jours. Abruti. Je n’ai pas quitté mon objectif de transformer mon corps, et j’ai réussi depuis février, à changer totalement la donne. J’ai le corps que j’ai toujours rêver d’avoir. Mais les squats ? Je fais des squats juste pour embellir mon cul ! Et avant d’aller courir un marathon, j’aurais pas pu penser à autre chose qu’à mon cul ? La vérité c’est qu’on est partis depuis deux kilomètres, que ça monte et que la douleur est déjà insoutenable. Je me déteste. En plus, mon cul, je le vois jamais ! Julien est plus à son aise dans la vitesse, il est deux mètres devant moi, je sais que je vais le perdre mais je ne prendrai pas le risque de le rattraper, ça pourrait me coûter cher.

Km 3 : 4’38 Ca c’est parfait. Mais cette douleur aux cuisses… Ca va vite devenir intenable. Il y a quand même des points positifs. Déjà je prends de l’avance, presqu’une minute d’entrée de course. J’ai tapé dans les mains de trois gosses alignés. J’ai manqué le quatrième. Le pauvre. Et il n’y aura pas de tendinite. Aucune sensation sous la cheville ne sera un obstacle, c’est une certitude. Par contre, je perds Julien qui est en train de prendre le large. Au fond de moi, j’aurais espéré qu’on tienne plus longtemps ensemble. Mais comme d’habitude, l’ambiance est folle et ça réchauffe le cœur. J’ai toujours dit que je voudrais un jour être spectateur d’un marathon.

Km 4 : 4’40 Chrono parfait. La douleur aux cuisses ne me quitte pas. Je sais que c’est autour du dixième kilomètre que je me sens toujours le mieux. Peut-être que la douleur va s’atténuer. En plus, j’ai beau faire des squats, mon cul, je vais vous dire la vérité, je le prends en photo toutes les semaines, je ne vois pas la moindre différence depuis que j’ai commencé. Bref, je finirai bien par écrire un article sur mon cul à l’occasion, je ne vais pas trop en dire aujourd’hui. J’ai eu mon premier encouragement personnalisé, « allez Josselin! » Y’a mon prénom sur le dossard hein. Un gamin qui s’amuse à nous encourager en criant nos prénoms. Il n’imagine pas un instant le bien qu’il répand.

Km 5 : 4’21 Ca descend beaucoup ici. Mais horreur, nous venons d’entrer sur la piste cyclable. Alors que j’ai complètement perdu Julien de vue, c’est la fin des encouragements. Une piste, la forêt, les gens que nous croisons ne savaient probablement pas qu’un marathon allait être couru ici avant de débarquer. Les coureurs se sont étalés et ici, je sais que je dois me coller aux autres. Ne surtout pas être seul. J’accélère afin de m’accrocher au mec devant. Je reste dans ses jambes. Je bois. Le chewing gum ne fait pas tant effet… D’habitude si. Oui, oui c’est testé et approuvé par moi ce truc.

Km 6 : 4’42 Ca monte. Mes cuisses subissent. C’est dommage parce que sans ça, tout serait parfait. Mais cette piste cyclable… Et le mec devant moi, c’était un de ceux qui ralentissent pas quand ça monte. Je l’ai plaqué du coup. Oh il est juste là, mais 5 mètres nous séparent. 5 mètres, je ne les remonterai pas.

Km 7 : 4’18 Oui c’est très rapide. Ca sera d’ailleurs mon kilomètre le plus rapide du marathon. Mais y’a une raison… Le mec que j’ai plaqué au 6ème kilomètre, il s’est pris le karma. Son camelbak a percuté un mec en VTT. Vous savez, le cycliste, qui en a rien à foutre. Celui qui gueule parce que visiblement à aucun moment il est en tort. Connard… L’espace d’un instant, j’ai peur de les voir chuter et je me prends une grosse dose d’adrénaline. J’en profite pour me rabibocher avec mon gars. Si les kilomètres passent à une vitesse folle, j’ai l’impression que plus jamais je ne vais quitter cette piste cyclable.

Km 8 : 4’23 Oui, on est toujours sur la piste cyclable. Je comble mon ennui par une escapade dans les Pyrénées. Après le marathon, je passe 10 jours avec Aubin. Et si par chance il faisait beau après les vacances, bon sang qu’est ce que que j’aimerais retourner dans les Pyrénées. Sinon, le chrono, on en parle ? Parce que pour l’instant, mes cuisses tiennent et je suis en train d’y croire. Ca sera peut être aujourd’hui que je passerai sous les 3h30. Pour l’instant, tout porte à croire que c’est le bon jour.

Km 9 : 5’06 On est sur un dénivelé positif de 20 mètres. Mais c’est lent… On a enfin quitté la piste cyclable. Il était temps parce que je faisais une fixette sur les poils aux mollets de mon gars. Des cheveux. Tout d’un coup, j’ai eu peur de me prendre les pieds dedans. Mais là il est loin devant. Cette cote, aucun souvenir. Mais elle est violente. Et franchement, alors qu’on arrive au dixième kilomètre, je me sens de moins en moins bien.

Km 10 : 4’45 Aucun dénivelé sur ce kilomètre. Je suis déjà en train de faiblir. C’est beaucoup trop tôt. Si nous avons retrouvé quelques spectateurs, ça ne suffit pas pour me remonter le moral. Je souffre terriblement. Mon mollet droit me chatouille. C’est une douleur de crampe. J’ai toujours eu ces menaces sur des marathons, mais les crampes sont toujours arrivées après la course. Par contre, je n’ai jamais ressenti ça dès le dixième kilomètre.

Km 11 : 4’57 Je suis en train d’approcher dangereusement des 5 minutes au kilomètre. Je m’étais fait la promesse que ça n’arrive pas avant le 25ème kilomètre, et je comprends que ça va arriver beaucoup plus vite que prévu. Je devrais encore être en train de prendre des secondes. Surtout, qu’il y a l’escalier du 39ème kilomètre qui me fera perdre 2 minutes à lui seul. Le pied au cul, c’est maintenant ou jamais.

Km 12 : 4’48 Y’a du mieux, c’est déjà ça. Mais quelques souvenirs reviennent. Il y a un mur dans pas longtemps. Une cote de malade. Je dois prendre un gel énergétique maintenant.

Photo : Jonathan – Photographie Sportive

Km 13 : 4’57 J’ai toujours le tube de gel vide dans ma main quand j’arrive en bas du mur. Ce mur, j’ai le même à côté de chez moi, dans la commune de Laroque. C’était cette cote même qui avait permis aux grimpeurs de gratter des points lors du Tour de France il y a deux ans. Je la grimpe plusieurs fois par semaine. Là, j’applique ma méthode. Je baisse la tête, j’arrête de penser et je monte comme à la montagne. Petits pas, même cadence, je soufflerai en haut si besoin. Alors que j’attrape mon paquet de Freedent chlorophylle, je lève la tête, j’arrive en haut. Y’a Coco qui m’encourage. Je m’attendais pas à la trouver ici, mais c’est parfait, c’est justement ce dont j’avais besoin maintenant.

Km 14 : 4’54 L’un des plus beaux kilomètres du parcours. Ici, une portion du marathon au beau milieu de la plage. Un tapis dur recouvre le sable et le public revient en masse. Les encouragements retentissent à tout va. Mais je vais de plus en plus mal. Si je m’habitue à la douleur, elle commence à me freiner. J’ai du mal à accélérer. Je n’arrive plus à gratter du temps, je suis déjà sur le point d’en perdre et je sens que ça va se compliquer. Je garde le sourire, je dis « merci » quand on crie mon prénom, mais je ne suis plus là. Il me reste 28 kilomètres, je n’ai fait qu’un tiers de la course, je stagne autour des 5 minutes au kilo, c’est pas bon.

Sur la plage

Km 15 : 4’51 L’odeur marine est agréable. Je vois sur la carte qu’on est pas loin de la plage, peut être même qu’on peut la voir. J’en sais rien, je suis ailleurs, je subis, et je commence à comprendre que je ne passerai pas sous la barre des 3h30. 15km, je doute déjà. Faut que je me sorte de là. Sans tenir l’objectif, j’ai quand même envie d’une belle course. Une course où je donne tout mais aussi une course où je profite.

Km 16 : 4’43 C’est bon, j’ai trouvé la solution. La plus belle énergie dans une course, c’est celle que je reçois des autres. Je peux les bousculer et retrouver le sourire. Ce kilomètre est le meilleur pour expérimenter. On revient au point de départ du marathon. C’est ici que les duos vont échanger leurs bracelets, c’est ici qu’il y a le plus de monde. Alors que j’arrive devant les foules, j’agite les bras, je porte la main à mon oreille, je veux du bruit ! Et ça marche. Les spectateurs crient et je retrouve le sourire, un sourire ultra reconnaissant. Je viens de recevoir une énergie phénoménale. Pas physique, je veux dire, ça me fera pas aller plus vite. Par contre, je vais faire ça sur les 26 kilomètres à venir et je vais juste ressentir le plaisir de courir…

Km 17 : 4’57 Putain j’arrive à faire crier les gens ! Et ce gamin, « allez Jo…euh…euh », intérieurement je ris. Je suis revenu dans ma course de la meilleure des façons. Déjà, l’année dernière, quand j’avais abandonné à deux reprises ce même marathon, à cause de ma tendinite, c’était les spectateurs qui m’avaient relancé sur la route. Certains m’avaient gueulé dessus, ça m’avait boosté comme jamais.

Km 18 : 4’50 Merde, on est de retour sur la piste cyclable. De l’autre côté cette fois… J’avais oublié ça. Gros coup dur pour moi. Fini les clameurs. Je dois me trouver un nouveau lièvre pour m’accrocher. Une levrette en l’occurrence. Plutôt une hase (je viens de vérifier sur Google). Ma hase est blonde, elle porte un short noir et elle n’a pas un seul poil aux mollets. Mais si elle continue à cette vitesse, je vais pas tarder à la plaquer elle aussi.

Km 19 : 4’21 Elle vaut peut être le coup que je m’accroche. Nous sommes trois maintenant. 2 gars, une fille. Mais le tempo n’est pas gérable pour moi. Je vais devoir quitter ce trouple pour faire cavalier seul. Et c’est terrible parce que ça y est, je me souviens de l’épreuve à venir en sortie de piste. Je sais que quoiqu’il arrive, je ne dois pas être seul.

Km 20 : 5’02 Mon trio s’est transformé en duo. Sans moi. Je suis seul à subir mes douleurs au beau milieu de cette piste interminable. Mon moral est mis à rude épreuve. Moi qui avait réussi à rabattre les cartes de ce marathon douloureux.

Km 21 : 5’19 Je me suis arrêté net. Sans le voir venir. Sortie de piste cyclable, ravitaillement et route départementale. Je viens de craquer sur le ravito. La seule vue de l’immense route départementale m’a calmé. Chaque année ici, c’est la même chose. Un boulevard de solitude, un groupe de musique au beau milieu et aucun supporter. Je prends un carré de chocolat noir et un verre de Coca. Il faut savoir que je n’aime pas le chocolat noir, mais, alors que j’arrive bientôt à mi-parcours, je commence à perdre un peu de lucidité.

Km 22 : 5’00 Je commence vraiment à subir la course. Je devrais encore prendre de l’avance à 22 kilomètres… Parce que ça y est, le semi marathon est passé. Et quelle épreuve ! Je suis seul sur la départementale. Nous sommes tous dispatchés. Comme je le constate chaque année, c’est sur cette partie de la course que beaucoup commencent à craquer. Des silhouettes de zombies déambulent pendant que d’autres s’accrochent.

Km 23 : 5’05 Il va rester encore un kilomètre sur l’immense avenue de Bordeaux. J’en profite pour dresser un premier bilan. Si j’ai encore pas mal d’avance, je viens de comprendre que j’arriverai bien au delà des 3h30. Chez moi, ne pas tenir un objectif, c’est synonyme de dépression instantanée. Mais j’ai les cartes en mains. En 2023, je n’ai pris aucun plaisir, je suis rentré dégouté après une course que j’ai détestée. Aujourd’hui, je vais boucler mon année. C’est la dernière course, en plus je récupère Aubin dans l’après-midi. Il est temps, plus que jamais de profiter, d’arrêter de ne courir que pour le chrono.

Km 24 : 4’56 Je viens de m’enlever un poids énorme. Je me connais, je sais que je vais finir mon marathon entre 3’35 et 3’45. Ca reste honorable. Et puis si c’est plus, alors ce sera plus. Un peu amer, je ne ressens plus la moindre pression. Je sors enfin de la départementale. C’était un enfer. Mais ça y est, je suis au Cap Ferret. Il n’y a pas autant de monde qu’à Lège, quelques curieux devant leurs portails, quelques encouragements, tout est bon à prendre. Chaque pas est un effort. Je pressens que les 18 kilomètres à venir vont être un cauchemar.

Km 25 : 5’12 Ca aurait dû être le kilomètre du bilan. J’aurais pas dû craquer avant le 25ème. C’est cruel.

Km 26 : 5’26 Ca fait trois ans que je passe devant le magnifique Phare du Cap Ferret, je n’y ai jamais prêté la moindre attention. C’est quand même fou, t’es en train de courir dans un lieu absolument superbe et à aucun moment tu penses à profiter de la vue. T’es tellement en train de subir ta course que t’as pas l’impression que ça pourrait juste te faire plaisir de contempler le paysage. Je ne sais pas encore que Christelle, derrière, est en train de faire des photos des plus beaux spots de la course.

Km 27 : 6’23 Maintenant, je ne m’emmerde plus, si j’ai faim, je m’arrête pour prendre un gel. Je marche le temps de finir mon sachet et je fais le détour jusqu’aux poubelles. Je suis encouragé par les autres coureurs. C’est ce qu’on fait quand on voit les autres marcher. Je leur fais comprendre que je prends juste le temps de manger, que je ne suis pas en difficulté, que tout va bien… Non, ça va pas bien. Heeeeelp. Je suis clairement en difficulté. Même marcher me fait mal. Je pourrais m’allonger juste là.

Km 28 : 4’57 Je rattrape un peu du temps perdu. Il faut dire que la moindre pause permet aux muscles de se régénérer un peu. Alors qu’on se dirige droit vers la pointe du Cap Ferret, On croise de temps en temps les coureurs devant qui courent sur la route en face. Je prends le temps de les regarder espérant croiser Julien.

Km 29 : 5’10 C’en est fini pour Julien. Je n’arrive pas à me réjouir d’être arrivé à la pointe du Cap. C’est difficile d’être soi même dans la merde, ça l’est tout autant d’y voir ses proches. Je prends 20 secondes au ravito. Je bois de l’eau, ma poche est presque vide. Je tenterai 3 litres la prochaine fois. Et je prends un abricot sec. Dégueulasse. Je le crache dans la poubelle. J’aime pas les abricots secs. Pourtant y’avait des kiwis secs. J’adore les kiwis. Abruti.

Km 30 : 5’29 Je peux plus. J’arrête. Les yeux rivés sur la terre, je n’ai même pas vu Eric qui enfourche son VTT pour m’attendre plus loin. C’est peut être mon interprétation mais je crois lire une pointe de déception dans ses yeux. Je peux pas lui faire ça, je me remets aussitôt à courir. Je le dépasse quelques mètres plus tard, il est à peine descendu de son vélo. Tant pis, il fera une photo de mon dos.

Km 31 : 4’59 « Allez Josselin » Putain je connais cette voix, c’est Aurora qui passe de l’autre côté de la route. Moins de deux kilomètres nous séparent. Partie pour un objectif de 4 heures, si elle ne craque pas, elle finira pas loin derrière moi et explosera son objectif. Vu l’état dans lequel je suis, elle pourrait même me rattraper.

Km 32 : 4’58 Encore 10 kilomètres. 10 kilomètres, c’est rien. J’irai au bout c’est certain. Maintenant il peut se passer bien des choses. Je me suis habitué à la douleur, j’arrive encore à passer sous la barre des 5 minutes au kilo, clairement, j’aurais pas imaginé ça quelques kilomètres avant. Je vais peut être un peu sauver les meubles.

Km 33 : 5’01 J’ai retrouvé le sourire et le plaisir de remuer les foules. Un sale môme vient de m’appeler Josseline, je le fusille du regard. Il se sent mal. Je voudrais lui faire un check, lui dire que c’est pas grave, mais trop tard il est derrière moi. J’espère qu’il dormira bien. En même temps, j’ai une gueule à m’appeler Josseline ?

Km 34 : 6’15 Ok. Il se pourrait que j’ai marché. Mais j’ai marché en reculant. Pendant une minute, j’ai cherché Aurora du regard. Je me lamente de faire cette course seul. A peine relancé, c’est Corinne qui m’encourage au bord de la plage. Contrairement à Eric, elle aura une photo de face.

Km 35 : 5’43 Ma blonde au short noir a craqué à son tour. Nous sommes nombreux à marcher. C’est un coup dur de voir les autres subir. Je lui dis « allez », elle ne sait même pas que nous avons vécu une histoire tous les deux.

Km 36 : 5’04 La piste cyclable, vraiment ? Je ne me souvenais pas qu’on empruntait deux fois la piste sur le marathon des Villages, mais trois ? Non là c’est trop. Ma blonde en profite pour dépasser. Elle, son truc, c’est les pistes cyclables apparemment.

Km 37 : 6’27 J’en peux plus. J’ai plus la force. Je stoppe net. La piste, la piste, la départementale, la piste, à chaque fois c’est le même enfer. J’essaie de boire, j’aspire. Plus rien. Je n’ai plus d’eau. Et j’ai soif. Je titube. Ca va être difficile de me remettre dans la course.

Km 38 : 5’49 Et soudain, un miracle. La légende de l’oasis dans le désert. Là, y’a ce mec, il distribue des bouteilles à tout le monde. C’est pas un ravito ou quoi… Dans ma tête, j’ai dit « j’ai soif » et ce mec est tombé aussitôt du ciel. Je m’arrête. Je bois la moitié de la bouteille d’un demi litre. C’est une bénédiction.

Km 39 : 6’12 Je m’arrête pour finir ma bouteille. Je ne sais pas comment je tiens encore debout. Jamais je n’avais eu aussi mal aux cuisses. Les crampes vont se déchaîner après la course. J’ai connu ça sur le marathon de Montauban. Crampe après crampe. La kiné ne savait plus quoi faire. Ici, pas de kiné. Mais l’arrivée approche. Les supporters comblent leurs encouragements avec le nombre de kilomètres restants. « Alleeeez plus que 3 kilomètres! »

Km 40 : 6’28 L’escalier du village de l’Herbe. La bête noire de tous les coureurs qui ont déjà fait ce marathon. Ma bête noire. Ici pas question de courir. Je monte en marchant face aux encouragements des nombreux supporters. Un photographe devant moi, à 20 mètres. Je m’arrête, je le regarde. « Ok, je vais courir, juste pour la photo », je lui donne le signal et enchaîne quelques pas de courses sur la montée qui suit l’escalier. Je m’arrête aussitôt après avoir passé sa position. Ici, au summum de la difficulté de ce marathon, les encouragements sont plus plaintifs. Je commence à discuter, je demande si quelqu’un est volontaire pour me porter jusqu’en haut. Je ris. Sans la douleur, je serais presque heureux.

Photo : Jonathan – Photographie Sportive

Km 41 : 5’17 Je suis à deux pas de l’arrivée. C’est terminé. Ce marathon ô combien douloureux est déjà en train de me manquer. Dans 10 minutes, il sera derrière moi. Quelque soit le marathon, ces deux derniers kilomètres sont toujours les plus faciles. Peu importe ce que j’ai subi, avant même d’avoir fini la course, elle est déjà en train de me manquer. Un coureur est arrêté. Je prends le temps de lire son dossard. « Allez Bubacar! T’es arrivé, c’est pas le moment d’arrêter! »

Km 42 : 5’23 Je profite des foules du dernier kilomètre pour agiter mes mains. Les clameurs sont de plus en plus bruyantes. L’année dernière je finissais en larmes, aujourd’hui, pour mon sixième marathon, je me sens porté comme jamais. Je vais chercher les dernières mains à checker, avec une satisfaction inattendue mais totale. Je franchis la ligne d’arrivée. J’en tomberais presque, mais je veux ma médaille. J’attends Bubacar. On se checke. Il me remercie de l’avoir relancé. Nous partons ensemble vers le ravitaillement final.

Sur la ligne d’arrivée

Je bois deux verres de Coca et me dirige en boîtant lourdement vers ma voiture. Je vais attendre que les crampes passent… Je retrouve Christelle, Sandrine et Magali avant de partir. Eric et Corinne nous rejoignent pour une photo avec les médailles. Aurora, de son côté, finira sa course en moins de 3h45. Bravo ! Et si d’aventure, ils tombaient sur cet article, un grand merci à Eric et Coco pour leur soutien indéfectible.

3h38min35s. Voilà le temps qu’il m’a fallu pour boucler ce 6ème marathon. Loin de mon objectif de 3h30, pire encore, au delà de mon record de 3h37min35s, il y a deux ans, sur ce même marathon. Et pourtant, pas la moindre déception, pas le moindre regret. Regretter quoi ? Regretter l’ascension du pic d’Anie ? Regretter d’être allé sur l’incroyable Table des Trois Rois ? Regretter d’avoir pris des cuites ? Non. Cette année j’ai fait le choix de profiter, le choix de ne pas subir une préparation éreintante et contraignante. 3h30 ? Je viens de le comprendre, oui j’en suis capable. Eviter peut-être les 300 mètres de dénivelé positif du Cap Ferret. Choisir un marathon plus plat, me mettre sous contrainte. Pourquoi ne pas attendre Paris 2026 ? Quelques jours avant ma crise de la quarantaine… Nul doute que la pilule des 40 piges sera mieux digérée en faisant moins de 3h30 dans la plus belle ville du monde. Mais pourquoi attendre ?…

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