2025·BLOG·Montagne

Pic d’Orhy

C’est un rituel. Chaque année depuis sa naissance, j’emmène Aubin dans les Pyrénées. Et depuis qu’il marche il est toujours partant pour la rando. Mais chaque année, ça monte d’un cran. Le lac d’Oô en 2023, du haut de ses 3 ans et demi. Le pic de Berbeillet en 2024. 1634m, une grande fierté pour lui mais surtout pour moi. Cette année, nous avons franchi la barre des 2000 mètres lors d’une ascension qui ne s’est pas vraiment déroulée comme prévu… C’est une question d’habitude.

Depuis que j’ai redécouvert Lescun, et que j’ai récemment traversé la passerelle d’Holzarte à Larrau, je rêvais de faire découvrir ce secteur des Pyrénées Atlantiques à Aubin. J’ai donc fait le choix de la commune d’Issor, pile in the middle. Au programme : La passerelle d’Holzarte, le pic d’Orhy, le plateau de Sanchèse à Lescun et La Pierre Saint Martin, si nous avons le temps. Mais depuis plusieurs semaines, le temps annoncé est loin d’être au beau fixe. Un peu de pluie chaque jour et aucun rayon de soleil. Il se pourrait que nous ne fassions rien du programme établi.

Mercredi 30 juillet : Nous partons à 9h du mat’, cap sur Larrau. Le ciel est très couvert, mais il fait bon et le sol est sec. Pique nique sur le parking de la passerelle d’Holzarte et ascension ! Bien que rapide et relativement facile, la première partie de l’ascension vers la passerelle est un peu technique. Surtout pour les petites jambes d’Aubin qui aura 6 ans le mois prochain. Mais beaucoup d’enfants sont présents. Des plus jeunes, des plus âgés, une vraie source de motivation pour Aubin qui, malgré quelques imprudences, montre l’ampleur de ses progrès. En traversant la passerelle au pas de course, il me montre également qu’il ne souffre d’aucun vertige. Ca peut le faire pour la suite du programme.

Passerelle d’Holzarte

Nous partons sur Issor prendre possession de notre lodge avant d’aller faire des courses sur Oloron. Mais dans la soirée, alors que nous venons de terminer notre repas sur la terrasse, la pluie commence à tomber. Une pluie fine et légère qui ne s’arrêtera pas de la nuit. C’est la désillusion. Ce que je craignais…

Lodge

Jeudi 31 juillet : Nous sortons le lendemain sur un sol trempé. Catastrophe. Aucun plan B. Nous avons plus de 45 minutes de route pour nous rendre au Port de Larrau, point de départ de l’ascension. Dans les Pyrénées, même à de courtes distances, le temps est très changeant. Nous mettons le cap sur Larrau, il n’y a que sur place que nous pourrons décider d’abandonner notre ascension. Nous nous élevons au-dessus de la passerelle et rentrons dans les nuages qui survolent la commune de Larrau. Dans un brouillard qui ne nous permet pas d’y voir à plus de 50 mètres, j’avance avec prudence. Je ne suis pas plus à l’aise en voiture qu’au sommet d’un pic. J’évite seulement de regarder sur les côtés. En pleine zone pastorale, nous évitons de percuter les vaches et les moutons… Pourtant, une vache se cogne d’elle même la tête à ma vitre conducteur déclenchant des éclats de rires dans la voiture.

Je gare la voiture au Port de Larrau. Nous descendons, il fait froid. Obligés de sortir les doudounes. Nous sommes en plein brouillard. Quelques voitures sur le parking, deux promeneurs qui observent la vue et les panneaux. Pour ce qui est de la vue, elle se devine seulement. C’est ce que je craignais, nous ne monterons pas sur le pic d’Orhy aujourd’hui. Je masque ma déception monumentale. Aubin m’attend devant la voiture, prêt à rentrer. Je lui dis qu’on peut quand même mettre les chaussures de rando pour nous promener autour du parking et faire quelques photos un peu plus haut. Histoire de. Il est partant ! Chaussures mises, nous nous éloignons des voitures et nous élançons sur le départ de l’ascension du pic. je trouve rapidement un point sympa pour les photos. Le brouillard ajoute une touche de mystère. Visuellement, ça rend bien. Mais si le nuage masque le vide, Aubin n’est plus si à l’aise. Alors que je lui demande s’il veut monter un peu plus haut, il me répond « non ». Il veut retourner à la voiture et partir d’ici.

Pas de problème. Il a son mot à dire et il est hors de question pour moi de lui forcer la main. Mais pendant la descente, nous croisons un couple accompagné de deux enfants. Le plus grand doit avoir 8 ou 9 ans, quant à sa petite sœur, elle a entre trois et quatre ans. Pas plus, c’est une certitude. Aubin s’arrête et les regarde. Il me dit qu’il a envie de les suivre. Je réponds « non ». Même moi, je ne suis pas à l’aise à l’idée de l’emmener dans le brouillard. Je regarde le sol. Je n’avais pas remarqué qu’il était relativement sec. J’hésite un instant. Nous regardons la famille monter, et alors que je tourne la tête vers les voitures, je vois une nouvelle famille avec un garçon de 7 ou 8 ans qui avance vers nous.

J’ai fait le choix du pic d’Orhy, parce qu’entre tous, c’est celui qui me paraissait le plus prestigieux pour les enfants. Un pic facile avec quelques difficultés à ne pas négliger. Mais un pic que j’étudie depuis deux ans maintenant. L’année dernière, nous avions fait le test avec le pic de Berbeillet, sans aucune difficulté et sans la moindre exposition au vide.

Aubin a envie de s’élancer. Je n’ai même pas embarqué ma casquette. Mais voir trois enfants nous passer devant me conforte dans l’idée que nous pourrions le faire. On conclut un pacte : à la moindre difficulté ou sensation de mal-être, on laisse tomber, et c’est pas grave. OK ? Tope là ! J’ouvre l’itinéraire sur mon téléphone. C’est parti !

L’ascension fait 4,5km aller/retour. Nous serons revenus dans 3 heures. Enfin… Sur le papier. Aubin va vite. Trop. Il trébuche sur des pierres et continue sans changer d’allure. Je le stoppe. D’une, j’ai besoin de trouver mon rythme et de deux, on est dans le brouillard et si ce début d’ascension ne présente aucun danger ni aucune exposition, je veux qu’il reste avec moi. Il râle. Me dit que je peux aller plus vite. Je le sais, il veut juste rattraper les autres gamins. Je hausse le ton. Tellement pas envie de rire en montagne.

Au dessus de nous, la fillette paraît rencontrer quelques difficultés. Alors que le vide se dévoile peu à peu, il semble qu’elle soit en train de mettre les mains pour escalader quelques pierres. Sans trop de difficultés pour Aubin, ça passe et nous doublons la première et la deuxième famille qui font une pause à proximité des chevaux. Aubin, les chevaux, il s’en cogne. Je me retourne et aperçois une dizaine de randonneurs, ados et adultes qui sont à notre poursuite.

Le chemin est bien marqué. Difficile de se perdre. Mais ici, rien ne va plus. Bien tracé, la largeur du chemin s’est considérablement réduite. Sur notre gauche, le voilà : le vide. Alors il y a vide et vide. Nous ne sommes pas à flanc de falaise mais nous évoluons contre une pente herbeuse extrêmement raide. J’attrape aussitôt l’épaule d’Aubin et lui explique qu’à partir de maintenant, je vais le tenir. Alors que nous sommes en file indienne, j’attrape sa main gauche avec ma main gauche et lui demande d’avancer lentement. Il n’est pas à l’aise. Le chemin est si étroit que je n’y pose que mon pied gauche, le droit évoluant entre les pierres et la pelouse ascendante sur notre droite. Je sais que je ne tomberai pas. Si la situation peut paraître impressionnante, je me sens en sécurité. Mais je suis mal à l’aise pour Aubin qui commence à se plaindre. On marque une pause. Je regarde en arrière et lui répète qu’on peut toujours faire demi-tour… Il me dit que non, mais je remarque surtout qu’il n’y a plus personne derrière nous. Je lève la tête. La dizaine de randonneurs est en train d’évoluer quelques mètres au dessus. J’attrape mon téléphone. Effectivement, nous avons quitté l’itinéraire. Je ne comprends pas comment c’est possible.

J’explique à Aubin. Il m’engueule. Je lui dis que j’ai l’habitude de ce genre de situation. Il s’en moque. Je ne peux pas lui en vouloir. Marche arrière. Une erreur d’aiguillage peut suffire à réveiller mon mal être en montagne. J’en suis à deux doigts. Et avec Aubin, il est hors de question d’évoluer sans assurance. On marque une deuxième pause. Juste le temps que je reprenne l’entièreté de mes esprits. Je tiens à présent la main droite d’Aubin dans ma main droite. Je lève la tête et repère la première famille qui est en train de faire la même erreur que nous. Ils sont trop loin pour que je leur parle. Je fais un signe de la main. Ils repèrent les randonneurs plus élevés et rebroussent chemin. Il fallait escalader une partie de la paroi pour trouver le chemin plus haut. Nombreux ont dû faire la même erreur avant nous.

Le chemin s’élargit, le temps s’éclaircit. De quoi prendre un bonus d’assurance. À mesure qu’on avance, on s’élève au dessus des nuages. Si le chemin est plus large et plus facile, c’est à présent de la roche qui nous attend dans le vide sur notre gauche. Je décide, malgré ses objections, de continuer à tenir la main d’Aubin. Je dois à nouveau élever la voix. Je veux qu’on se résigne à laisser les randonneurs devant prendre le large et qu’on ralentisse la cadence. D’autant que j’ai à présent en ligne de mire, la barre rocheuse qui est la ‘grosse’ difficulté de cette ascension. Un passage d’escalade avec un câble métallique pour nous aider à grimper. Beaucoup plus compliqué pour Aubin qui me supplie à présent de le tenir. Il aurait pu me supplier de faire demi tour mais visiblement, il veut en découdre. Il s’énerve. De là où je suis, je peux le tenir, mais je ne peux pas passer devant pour l’aider. Je lui explique comment s’aider du câble mais il se contente de le tenir, sans forcer sur ses bras pour se donner l’impulsion.

Je tiens le câble de la main droite, Aubin de la main gauche. Je lui dis de pousser sur ses jambes. Il s’énerve de plus belle. STOP. Je m’agace à mon tour et lui demande de me parler sur un autre ton. Il ne décolère pas pour autant. OK. Il est pas au mieux. Je lui demande de s’allonger sur la dalle de pierre pour pouvoir le lâcher. Agrippé au câble, je fais un pas vers lui et l’entoure de mon bras gauche pour le hisser sur la dalle supérieure. Victoire !

Nous grimpons aisément les rochers restants pour nous sortir du dédale de pierre et arrivons enfin sur un chemin plus sécurisé. Le plus dur est fait. La vue est dégagée sur le pic d’Orhy que nous pouvons enfin admirer. « Nous n’avons plus que ça à faire. » L’ascension finale. Le chemin se sépare en deux, mais un panneau fléché indique qu’il faut prendre à droite pour le pic. Pourtant, je vois sur mon téléphone que mon itinéraire indique le chemin de gauche. Je fais confiance au panneau. Nous nous élevons droit vers le pic. Mais d’ici, l’ascension finale me semble raide. Trop raide pour Aubin. Alors que nous sommes lancés depuis quinze minutes, il s’énerve à nouveau, me dit que c’est trop dur, et remarque qu’il n’y a plus personne. Il veut faire demi tour. Sur ce coup je ne peux que lui donner raison. Je recadre le vocabulaire mais c’est ok pour rebrousser chemin. Aubin a l’impression que tout le monde est retourné au parking. Il panique à l’idée d’être seul en montagne. C’est vrai qu’on avait eu ce problème lors de l’ascension du pic de Berbeillet.

Gauche/droite

On redescend. J’ajoute qu’une fois revenus au panneau, on pourrait peut-être réessayer avec le chemin de gauche. Je me fais engueuler : « Nooon, ils sont tous partis… » Il me fusille du regard. J’explique que personne n’est parti, qu’ils sont tous sur cette ascension finale mais ça ne change rien. En contrebas, je repère un randonneur qui avance avec son chien sur le chemin de gauche. Je le montre à Aubin. Je lui dis : « Tu vois, lui il est pas parti, il est sur le chemin de gauche. » Il n’en fallait pas plus. Aubin me dit qu’il faut le rejoindre, qu’on peut couper en redescendant tout droit. Je dis que non, ça ne fonctionne pas comme ça. Je regarde, oui il a raison. En faisant attention on pourrait couper… Oh et puis merde ! On dévale la pente pour se retrouver derrière le randonneur et son chien. Ce chemin, qui contourne le pic par un passage très boueux, mène en bas d’une pente herbeuse nettement moins dangereuse. En haut de cette pente herbeuse : le pic d’Orhy.

Je viens de comprendre que c’était gagné. J’encourage Aubin. Dans quelques minutes, il aura passé la barre des 2000 mètres. Il culminera à 2017 m d’altitude, sur le point culminant du Pays Basque. Alors que nous ne sommes pas en haut, je le félicite fièrement pour les efforts qu’il a faits. Nous croisons le groupe de dix randonneurs qui entament la descente, puis la deuxième famille qui nous dit qu’il ne reste plus qu’un petit effort. Aubin est au pas de course. Je ne le retiens plus. J’accélère à mon tour. Nous y sommes. Au delà des nuages, à 2017 mètres. C’est fait !

Aubin n’est pas à l’aise. Trop de vide partout. Je lui dis de s’asseoir et lui donne un sandwich pour son pique nique le plus élevé. De mon côté, oui le vide m’impressionne mais j’arrive à me promener d’un bout à l’autre du sommet sans difficulté. Avec le prochain pic en tête… Quelques photos. Beaucoup de photos… Nous restons pas loin d’une heuree au sommet. Il est temps de redescendre.

Je passe devant Aubin sur la dalle de pierre avec le câble. Nous descendons sans problème. Je ne lâche jamais sa main. La pluie nous tombera dessus après le troupeau de chevaux, mais nous ne sommes plus exposés au vide. Je tombe deux fois sur le cul, évitant d’entraîner Aubin hilare. Retour à la voiture, au sec ! Tope là ! Je ne sais pas s’il est conscient d’avoir vécu un truc de dingue. Moi, je le suis pour nous deux. Nous sommes le 31 juillet 2025 et je réalise à l’instant que nous avons fait l’ascension du pic de Berbeillet le 31 juillet 2024…

Vendredi 1er août : Pas de pression, pas de réveil ce matin. Aujourd’hui c’est tranquille. Nous allons visiter le petit village de Lescun, manger sur place et passer le reste de la journée sur le plateau de Sanchèse. 30 minutes de randonnée avant de déambuler au gré de nos envies. Labyrinthe de pierres, cascade, troupeaux, ruisseau, nous sommes en plein cœur d’une des merveilles de la nature. On en prend plein la vue ! Retour à Issor, douche puis sortie nocturne à Arette où nous avons le plaisir de retrouver Etienne, ex Rapetou et Seb sur leurs terres.

Plateau de Sanchèse

Samedi 2 août : Dernier jour. Nous sommes de nouveau partis au milieu des nuages, à la découverte de La Pierre Saint Martin. Démarrage de la voiture prévu à 15h. Je ne veux pas rentrer trop tard. Nous faisons une randonnée dans le brouillard, mais par chance, Aubin pourra observer des marmottes pour la première fois. Tous deux admiratifs, nous passons prés d’une heure à les observer. Dernière glace avant d’acheter un pass fin de journée pour les activités de la station. Télésiège et descentes en bouée. Démarrage de la voiture : 18h00.

La Pierre Saint Martin

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