
24 novembre 2025
Le réveil sonne à 6h45. Je cogite. Je sais pas ce que je dois faire. Cette nuit, mon intuition s’est alignée avec mon cœur : si je veux réécrire l’histoire, notre histoire, c’est ce matin ou jamais. J’oublie le cartable d’Aubin. Je perds une heure à faire deux fois l’aller-retour entre chez moi et l’école. J’ai jamais eu aussi peur de ma vie. Je fonce vers la gare de Bordeaux. Je peux encore y être à temps. J’ai l’impression que mes viscères vont s’extirper de mon corps. Je déteste la façon dont cette relation s’est terminée. Par une dispute, que j’ai provoquée.
Je me gare à Belcier. Il me reste quarante minutes. Je cours comme un taré pour traverser la gare. Le train pour Marseille n’a pas encore de quai indiqué. Il y a du monde partout, trop de monde. Je scrute chaque visage. Rien. Je monte à l’étage, je fais le tour des cafés, je regarde tous les passagers un par un. Il me reste vingt-cinq minutes. Je vois l’écran : voie 5. Ça fait combien de temps que c’est marqué ? Je repars en courant. Je bouscule des gens. J’ai jamais eu aussi mal au ventre. Je fais toute la longueur du quai : personne n’est encore arrivé. Je redescends dans le souterrain pour revenir vers le hall. Il me reste quinze minutes.
Ca y est, nos regards se croisent. Enfin. Je dis rien, je tremble. On se prend la main. On a dix minutes, pas plus, pour changer la fin. On marche ensemble vers la voie 5, main dans la main. Devant le wagon numéro deux, je m’enivre une dernière fois de son odeur. Dernière étreinte, baiser d’adieu. Je regarde le train partir. Cette fois c’est bel et bien fini. Je suis bouleversé.
Marathon de La Rochelle : J – 6
Voilà l’état d’esprit général dans lequel j’ai préparé ce marathon de La Rochelle. Émotionnellement, je suis à vif, en train de traverser un vrai tournant. Je manque cruellement de sommeil, ma préparation est bancale, j’ai des douleurs au ventre et surtout, j’ai la tête ailleurs. Bref, je suis tombé amoureux. Une histoire impossible.
Pour la course, je garde quand même un peu d’espoir. Si je devais échouer maintenant, en plus de tout le reste, je préfère même pas imaginer comment je finirais. Je dois faire 3h25. C’est pas beau, 3h25. C’est pas un objectif qui fait rêver, c’est pas un vrai palier. Depuis qu’on a appris le retour du marathon de Bordeaux l’an prochain, je me vois déjà franchir quelque chose de plus symbolique : 3h15.
Après les fractionnés du 19 novembre, on a pris un apéro avec les Rapetou pour les anniversaires de Jérémie et Fabrice. Alors que je ne me pose même plus la question de boire ou pas, j’ai été voir Coach après avoir fini ma première bière. Je lui ai demandé franchement s’il me pensait capable de passer sous les 3h15. Il m’a regardé, et m’a sorti un “oui” spontané. Un “oui” mais avec plusieurs “mais”, évidemment. Il va falloir bosser dur. Faire une prépa intensive de deux mois, mais d’abord préparer la prépa. Coach Fabrice me conseille un marathon en 4h au mois de mai. Pas plus rapide. Blaye, par exemple. Puis des cross cet été, des courses courtes, des trails techniques. Et après, on verra. Mais il faudra partir sur cinq sorties par semaine. Lui a l’expérience il sait de quoi il parle. Moi extérieurement je souris, intérieurement je me décompose.
Je suis gourmand. Très gourmand. Mais est-ce que je suis vraiment capable de me lancer dans une prépa aussi exigeante ? Moi qui marche plus au cœur qu’à la raison, moi qui me laisse guider en permanence par mes émotions… Je pense que tant que j’aurai la possibilité d’aller plus vite, je lâcherai rien. Mais à l’aube de mes 40 ans, le temps est compté. Six ans ? Six mois ? Le déclin arrivera sans prévenir. Mais il arrivera.
Je parle d’une prépa bancale pour ce marathon de La Rochelle. J’ai quand même fait mes sorties longues, oui, mais j’ai galéré sur les allures. Les fractionnés ont été une vraie souffrance. A chaque séance, j’avais l’impression de taper dans mes limites. Et en plus, la météo s’est mise contre moi. Deux heures à courir par des températures négatives, impossible de sortir quand il pleuvait, des coups de fil que je décrochais en pleine séance… La vérité, c’est que je manque de volonté. Je n’ai tout simplement pas envie de faire ce marathon. Pas envie de courir un marathon maintenant, avec le cœur en miettes.
29 novembre 2025
Je démarre la voiture à 11 h. Moi qui voulais partir tôt… Le soleil est magnifique au début, mais en arrivant à la sortie de Royan, je vois bien que je fonce droit vers les nuages. Plus j’avance, plus le ciel s’assombrit. En longeant Rochefort, je me prends des abats d’eau, j’y vois plus rien, obligé de rouler à 90 sur l’autoroute. Mon moral déjà bas tombe à zéro. Je me gare près du village marathon. Il pleut des cordes. Heureusement, entre midi et deux, il n’y a pas grand monde. En faisant la queue pour récupérer mon dossard, on entend la pluie s’écraser sur le toit de l’Espace Encan. Mon parapluie ne sert à rien, je suis trempé.
Je pense sérieusement à rentrer à Bordeaux. Je file au EatSalad de Puilboreau, puis comme la pluie s’arrête, je vais au port des Minimes. En mars, on était venus ici avec Aubin, entre Rochefort et La Rochelle. J’avais eu un coup de cœur pour le Phare du Bout du Monde. Aujourd’hui, il n’y a personne. Des flaques partout. Je passe par-dessus la barrière et je descends les rochers pour m’approcher le plus possible du phare. Une glissade inattendue pourrait m’éviter la course demain. Face au phare, je regarde au loin, j’écoute les vagues. Je ne pense pas au marathon. Je suis six jours plus tôt, sur le quai n°5 de la gare de Bordeaux. Moi qui rêve depuis toujours d’envoyer une bouteille à la mer… Si j’avais su…

Je reste là une bonne partie de l’après-midi. Je saute de rocher en rocher, j’observe les coquillages, les mouettes. J’aurais pu venir ici sur un coup de tête, pour souffler, réfléchir, hurler. Mais non, je suis là parce qu’il y a un marathon demain. Et pour la première fois, je réalise que je n’ai aucun recul sur ma course, que je ne sais pas si je peux faire 3h25, que je ne sais même pas à quoi m’attendre. C’est comme un premier marathon, mais sans la peur des quarante-deux kilomètres. Juste un flou total.
J’arrive au camping d’Angoulins sous des trombes d’eau. Je récupère ma clé, je me gare devant le mobil-home, j’ouvre la porte, je balance mes deux sacs à l’intérieur sans même entrer, et je repars direct vers Aytré pour retrouver Jordan et sa mère, Gisèle, dans l’appartement de son cousin. Je n’ai pas vu Jordan depuis le marathon des Villages en 2023. Deux ans déjà. On passe la soirée tous les trois à papoter autour d’une assiette de pâtes-poulet à la crème. Gisèle court aussi. Elle devait faire son premier marathon ici, mais elle s’est blessée. On parle objectifs. Pour Jordan, ce sera son troisième marathon, il vise moins de quatre heures. Tout reste encore complètement imprévisible pour nous.
Je m’intègre à la logistique pour demain. Rendez-vous ici à 7h20. Je ne traîne pas, la nuit va être courte pour tout le monde. De retour à Angoulins, j’accroche mon dossard sur le maillot des Rapetou, j’avale un anxiolytique et je m’endors aussitôt. J’ai presque sept heures de sommeil en me réveillant, mais je suis quand même épuisé. Impossible de rattraper le retard accumulé ces dernières semaines. Je prépare mon Camelbak, je prends mon petit-déjeuner, une douche, et un dernier pipi. Après ça, je dois arrêter de boire jusqu’au départ.
Il fait encore nuit. La pluie a cessé. Sur la route d’Aytré, je regarde les messages d’encouragement que j’ai reçus depuis hier. Putain oui, il y a un marathon à faire. Et pourtant, j’ai toujours zéro moral et aucune envie d’y aller. Je retrouve Jordan et Gisèle qui terminent de se préparer, et on prend ensemble la navette du parking Simone Veil pour la gare routière de La Rochelle. J’ai un petit sac à laisser en consigne. Je porte un maillot manches longues, le tee-shirt des Rapetou par-dessus, et une veste qui ne tient pas assez chaud. Il fait entre sept et huit degrés, mais la météo annonce du beau temps.

On marche longtemps jusqu’aux SAS de départ. La particularité de ce marathon, c’est qu’il a deux lignes de départ. D’un côté les coureurs nés avant 1981, de l’autre ceux nés après. Les deux vagues se rejoignent au bout de 600 mètres. Aujourd’hui, La Rochelle attend 16 000 coureurs, 9 000 pour le marathon, le reste pour le 10 km. Les gens arrivent petit à petit. En masse. Certains entrent directement dans leurs SAS, d’autres, comme nous, attendent un peu en retrait.
À 8h30, j’enlève ma veste et je vais poser mon sac à la consigne. Je tombe sur Aurélien. Un Rapetou. Un vrai rapide. Il vise de passer une nouvelle fois sous les trois heures. On échange quelques mots. Il est crevé, manque de sommeil, mais il n’a pas l’intention de lâcher. Sur l’autre ligne de départ, il y a Jeff aussi. Je ne le verrai pas du week-end. Il ne pense même pas finir. Selon lui, il va craquer autour du 30e kilomètre. Trente… le mur. Celui auquel je n’ai jamais échappé. Le moment où la course change de visage. Et aujourd’hui, vu mon état, je sens que les derniers kilomètres vont être longs. Très longs.
Avec Aurélien, on retrouve Jordan et Gisèle, puis chacun file vers son SAS. Jordan au 4h, moi au 3h30, Aurélien au 3h. Je suis gelé, mais Jordan avait raison, la foule réchauffe un peu les corps avant le départ. De temps en temps, un vent glacial passe entre nous et me tétanise. Je glisse mes mains entre mon short et mon boxer pour les réchauffer contre mes fesses. Aucun nuage. J’espère que le soleil va taper. Quelques spectateurs nous observent depuis leurs fenêtres, bien au chaud. Je les envie tellement.

Je n’entends même pas le départ. Je suis juste la masse qui avance doucement vers l’arche. Je ne comprends pas ce que je fais là. J’ai l’impression d’être dans une bulle. Rien ne semble réel. Normalement, à ce moment précis, je suis en train de retenir mes larmes, submergé par l’émotion du départ. Mais aujourd’hui, rien. Vide total. Je tire juste une gueule de six pieds de long.
Je franchis la ligne de départ quelques minutes après le coup d’envoi. 4’50/km, c’est l’allure qu’il faudra tenir pour finir en 3h25.
Km 1 : 5’27. L’embouteillage est énorme. J’ai jamais vu ça. J’ai beau être dans le SAS des 3h30, beaucoup autour de moi n’ont pas l’intention d’accélérer. Ca se bouscule dans tous les sens. Les plus motivés passent en force entre les coureurs et n’hésitent pas à pousser. J’aurais dû faire pareil, mais je reste coincé à attendre que ça se décante.
Km 2 : 5’06. Parfait… j’ai déjà une minute de retard. Je me fais rentrer dedans toutes les deux secondes. Les deux lignes de départ ont fusionné depuis un moment, la route est plus large, mais personne n’accélère. Je subis complètement, incapable de suivre ceux qui slaloment et doublent.
Km 3 : 4’43. Il y a énormément de monde sur le bord de la route. C’est pour ça que je suis venu à La Rochelle. L’ambiance, le plat. Je ne le sais pas encore mais je vais déchanter. Beaucoup prennent les trottoirs pour doubler, et des spectateurs se retrouvent un peu coincés au milieu.
Km 4 : 4’40. Si je veux récupérer la minute perdue, il va falloir tenir ce rythme un moment. Le Soleil tape déjà, mais j’ai froid et les jambes comme endormies. Je baisse la tête, dépité. Je commence à comprendre que ça va être mon premier échec de l’année.
Km 5 : 4’40. Je me fais encore bousculer mais je reviens peu à peu sur le meneur d’allure 3h30. Son drapeau est loin devant. Je me demande si je ne devrais pas laisser tomber mon objectif pour simplement me caler sur lui. Il est parti avant moi, peut-être une minute, et il finira sous les 3h30. Si je le suis, je passerai large en dessous aussi.
Km 6 : 4’37. Je me rapproche du meneur d’allure. Je prends rien au ravito. J’ai un litre d’eau dans mon Camelbak et mes gels Overstim. J’en ouvre un premier pour essayer de gagner un peu d’énergie. Je me sens fatigué, pas la fatigue des six kilomètres, mais plutôt celle accumulée à mal dormir depuis des semaines. Je pense encore à mon lit.
Km 7 : 4’41. Je suis pas loin d’avoir rattrapé tout le retard des deux premiers kilomètres. Encore un kilo comme ça et ce sera bon. Je ne regarde plus rien autour. Mon Dieu, cette course va être un enfer. Je pourrais craquer maintenant, je le sens. Je ne comprends pas. En rejoignant le peloton très serré du meneur d’allure, je réalise que je ne pourrai jamais courir à côté de lui. On est encore au début du marathon, à trois kilomètres du moment où d’habitude je me sens enfin bien. Je ne sais plus quoi faire.
Km 8 : 4’42. J’ai réussi à me glisser dans le groupe du meneur. Quelques bousculades, rien de méchant. Je pense avoir récupéré ma minute de retard. Maintenant, j’attends juste de voir à quel moment je vais exploser, parce que ça semble impossible autrement. Dans ma tête je me dis : « plus que 34 ». Ca plombe. On repasse à quelques mètres du départ, au milieu d’une foule que je ne capte même pas.
Km 9 : 4’52. Première côte. Pas petite. Je ralentis. Je me dis que ce sera la seule, et qu’il faudra la refaire au deuxième tour. Si c’est juste ça, ça ira.
Km 10 : 4’49. Je m’accroche comme je peux. Je sais que j’ai pas envie aujourd’hui. Mais j’ai toujours ce besoin d’aller au bout, coûte que coûte. Ca, ça lâchera jamais. Je comprends aussi que ce marathon, je pourrai pas le faire au mental. Je dois me couper de tout. Mes émotions, l’ambiance, la course. Je suis là, et j’y resterai. C’est le moment de passer en mode robot, de suivre les autres sans réfléchir. Penser à rien. Je quitte la gare de Bordeaux une bonne fois pour toutes, et je cale mes foulées sur celles du gars devant moi. Automate activé.
Km 11 : 4’55. Je vais pas mentir, là, la côte est sacrément raide. J’en ai quelques souvenirs du deuxième passage surtout. Mais en mode automate, la seule chose qui me fait réagir, c’est ma montre. Et là, clairement, j’ai suivi le mauvais coureur. 4’55, c’est trop lent.
Km 12 : 4’45. J’ai trouvé un autre coureur à suivre et ça me remet dans le bon rythme. À mesure qu’on s’éloigne de la zone de départ, il y a moins de spectateurs. Toujours un peu de monde, mais ça crie beaucoup moins. Et honnêtement, vu mon état d’esprit, même les encouragements ne m’aideraient pas.
Km 13 : 4’37. Je ne réalise pas que mon nouveau partenaire va trop vite pour moi. Je suis prêt à m’accrocher aux branches pour aller jusqu’au bout. Mais pas à ce prix.
Km 14 : 4’37. Non, ça va pas… Je tiendrai pas cette cadence longtemps. Je me sens anesthésié.
Km 15 : 4’49. Je désactive le mode automate pour tenter de me prendre en main. Etrangement, pour l’instant, ça tient. J’aurais cru craquer plus tôt. D’ailleurs, si je m’écoutais, je serais en train de marcher, là maintenant. Mais je ne m’écoute pas parce que je n’ai vu aucun coureur s’arrêter et aussi parce que je n’ai pas envie que les spectateurs m’engueulent, comme au marathon des Villages.
Km 16 : 4’44. Comme à chaque kilomètre, j’essaie de calculer le nombre de kilomètres qu’il me reste, ma montre vibre. Je reçois un message d’Elodie : « Allez Joss c’est bien !! » Elle doit regarder le tracking. Oui elle a raison, c’est bien. Enfin pour l’instant… Elle ne sait pas que je suis en train de me battre pour retarder l’explosion au plus tard possible.
Km 17 : 4’53. Finalement, la vraie côte difficile, c’est celle-là. Je vais craquer. C’est imminent. Je le sens. Je le sais. Y’a plus rien à faire. Je ne sais pas où est le prochain ravito. Je vais juste essayer de tenir jusque là.

Km 18 : 4’46. Il reste encore 24 kilomètres. Je me sens mal. Très mal. Je vais passer à côté de ma course. Est-ce que c’est à cause de ces deux derniers mois où j’étais ailleurs ? Ou bien est-ce que je suis juste en train de décliner ? La deuxième option me paraît crédible. Je me sens impuissant, incapable de faire mieux que lors du marathon des Deux Rives, qui avait déjà été un cauchemar.
Km 19 : 4’47. On approche de la fin du premier semi. La foule revient. Je n’en profite pas. Ca me frustre. Je devrais sourire, dire merci. On m’encourage pourtant. Une gamine me lance un « Allez Joseph » en lisant mal mon prénom. Je me décale sur la droite. Je tape dans les mains des enfants, sur les cartons “booster” Mario Kart. Mais je ne souris pas. Je le fais de manière égoïste, en sachant que sur d’autres marathons ça m’avait aidé. Là, je lève les yeux, et je comprends, le mur est juste devant. À 23 bornes de l’arrivée.
Km 20 : 5’17. Ravito. Je suis le seul coureur à m’arrêter. Première explosion. Je bois un verre d’eau gazeuse, je mange un morceau de banane que je prends le temps de mastiquer et d’avaler, je prends un nouveau verre d’eau gazeuse et tente de me relancer. Derrière moi, le meneur d’allure à 3’30 et son peloton me rattrapent.
Km 21 : 4’54. Je me remets dans la course tant bien que mal. J’entends le peloton du meneur juste derrière, mais je ne me retourne pas. J’arrive à la fin du 21e kilomètre. Premier semi terminé. On est à mi-parcours. Et je m’apprête à vivre le semi le plus dur de ma vie. Un deuxième tour de manège en enfer. Sous les applaudissements et les cris, je réalise à quel point je suis dans la désillusion.
Km 22 : 4’50. J’arrive à maintenir l’allure pour la dernière fois. Je me sens mal au point de me projeter sur des kilomètres à sept minutes. Je me prends à espérer finir ce marathon sous la barre des 3h45. Le public n’a aucun effet sur moi. C’est la première fois. Oui c’est vrai, il y a une ambiance de folie sur le marathon de La Rochelle, mais là maintenant, je m’en tape.
Km 23 : 4’54. Je cours à côté d’un Julien. Apparemment, « Julien », c’est plus facile à lire que « Josselin ». Ca fait un kilomètre que j’entends « Allez Julien ». Ça me gonfle. Vraiment. Et même si je dis que je m’en tape, les encouragements restent des encouragements. Au fond ça fait un peu de bien. Le sentiment d’être moins seul dans l’effort, sûrement. À Ambès, ce qui m’avait achevé, c’était le silence et l’absence de public. Ici, avec tous ces coureurs et tous ces spectateurs, impossible de ressentir ça. Je regrette juste d’être venu dans un état d’esprit pareil…
Km 24 : 4’54. Etonnamment, la bascule n’est pas encore arrivée. Quand j’ai vu le mur au 19e, j’étais persuadé que c’était fini pour moi, que j’allais exploser et dépasser les cinq minutes au kilo. Je m’accroche mais j’ai envie de hurler. J’ai pas mal, j’ai pas de crampes. Je me rends juste compte que je me bats pour tenir une allure que je ne peux pas tenir aujourd’hui. Et en vrai, je le savais déjà pendant mes entraînements
Km 25 : 5’17. Ca y est. On y est. La bascule. Le début de la lente agonie. C’est certain maintenant, je ferai ni 3h25, ni 3h30. Je me retourne. Le meneur des 3h30 est à une centaine de mètres, pas plus. Je pensais avoir creusé l’écart. Absolument pas.
Km 26 : 6’15. J’ai cru que je n’allais jamais repartir de ce ravito. Je bois un Coca, je reprends une banane. Et je regarde, impuissant, le peloton 3h30 passer devant moi. Je pourrais essayer de recoller, m’accrocher au groupe qui fond petit à petit. Mais non, je n’y arriverai pas. Je prends un verre d’eau gazeuse en échangeant deux mots avec une bénévole, et là je vois arriver un deuxième meneur 3h30 avec son groupe. Putain, ils sont deux. Deux drapeaux, deux pelotons. Et tout d’un coup, c’est le célèbre « alors peut-être ? » de Patrick Montel qui résonne en moi. J’entends sa voix. J’ai ma bouée de sauvetage !
Km 27 : 5’05. « Alors peut-être ? » Et peut-être quoi ? Mes couilles oui ! Je lâche un « ta mère » et je laisse filer le deuxième meneur. J’espère juste ne jamais voir celui des 3h45. Mais aujourd’hui, je ne suis sûr de rien. J’arrive en haut de la côte. Quinze kilomètres à tenir. C’est long.
Km 28 : 5’14. Depuis que je suis passé au-dessus des cinq minutes au kilo, je me sens mieux. Je sais seulement que je ne peux pas aller plus vite. Je me dis que je peux finir comme ça. Je fais deux trois calculs, je peux encore faire mon deuxième meilleur temps. Il faudrait finir en moins de 3h37min38. Consolation de merde mais j’ai besoin de motivation.
Km 29 : 5’13. J’appréhende un peu. Est-ce que le fait d’avoir craqué plus tôt va m’éviter le mur des 30 ? Parce que celui-là, en général, on le voit pas venir. Là, j’ai l’impression que je peux finir tranquille depuis que j’ai ajusté mon rythme.
Km 30 : 5’28. Bon oui j’ai ralenti. Alors que nous repassons par la zone de départ de la course, je n’ai fait aucun effort pour maintenir mon allure dans la côte. Mais de nouveau, je tape dans les mains et sur les champignons. Disons que j’y mets un peu plus de bonne volonté. J’ai fait trente kilomètres, j’ai lâché tous mes objectifs, je pense qu’il n’y aura pas de nouveau mur et même si je me gèle toujours les burnes, je peux dire que maintenant ça va pas trop mal.
Km 31 : 5’06. Quand on parle de mur sur une course, vous le savez, c’est une image… Je veux dire par là que rien ne se dresse devant vous tout d’un coup pour vous stopper net dans votre course. Rien de palpable quoi. Et bien on y est, je viens de me prendre le mur. Ou plutôt c’est lui, l’autre abruti qui s’est pris un mur. Moi en l’occurrence. Ici, sur une petite portion du parcours, la course va dans les deux sens. Ceux qui viennent d’achever leur trentième kilomètre croisent ceux qui viennent d’achever le vingtième. Entre les deux routes il y a une grosse foule de spectateurs. Je suis au bord, toujours à l’affut de mains à taper quand soudain, un mec traverse sans regarder. C’est une fraction de seconde. Deux bénévoles qui gueulent, mes mains qui se lèvent et le choc brutal avec l’abruti stoppé net. Je manque de tomber et trébuche sur deux mètres. Je fais toujours la gueule mais intérieurement j’ai envie de rire. Lui qui n’a peut-être jamais couru de marathon, vient à l’instant de découvrir le mur du trentième. Et de se faire salement engueuler en prime. Bien fait. (mode aigreur activé)
Km 32 : 5’35. Y’a une côte à la fin du kilomètre.
Km 33 : 5’38. La côte était pas terminée. Parce que pardon mais pour un marathon plat j’ai quand même 154 mètres de dénivelé positif à l’arrivée… C’est pas plat ça chez moi.
Km 34 : 5’10. « Je sais que c’est dur mais tu peux le faire ! T’es une machine. » Le message d’Elodie s’affiche sur ma montre. Si elle me suit, elle voit que j’ai craqué et que mon heure prévue d’arrivée a dû être décalée de quelques minutes. A ce stade de la course, les dés sont jetés. Je m’accroche à cette idée que je peux encore réaliser mon deuxième meilleur chrono, sans en faire une satisfaction non plus. Mais la vérité c’est que je ne suis pas une machine et j’aimerais pas connaître le type que je serais si je n’avais pas mes émotions, mes désespoirs et mes joies. 34 kilomètres. C’est fini maintenant. Il n’y a plus que la magnifique médaille à accrocher autour du coup et le chapitre suivant à écrire.
Km 35 : 4’59. Ca descendait de ouf. ^^
Km 36 : 5’29. Possible que je me sois encore un peu tapé l’incruste au ravito. Comme je m’arrête beaucoup, j’ai encore pas mal d’eau dans mon sac. J’ai une fringale, je prends un gel Overstim au citron. Et là, ma main droite se retrouve dans une poche complètement gluante. Ces gels-là, je le savais, ça perce même dans un tiroir. Et ça me dégoûte, j’ai horreur d’avoir les doigts collants. J’essaie de me frotter les mains, rien à faire. Elles collent toutes les deux à présent. Je regarde autour, je cherche une bouteille laissée par un spectateur. Rien. Et puis je tilte, j’ai de l’eau sur moi ! J’aspire l’eau de ma poche à eau, je la recrache sur mes mains. Trois fois de suite. C’est réglé. Un couple d’un certain âge me regarde les yeux écarquillés.
Km 37 : 5’03. Le message d’Elodie s’affiche sur ma montre : « Lâche pas ». Elle doit penser que je suis en train d’exploser. Elle pense juste. Mais non, je ne lâcherai pas. Pas maintenant, pour rien au monde. Le retour vers la ligne d’arrivée est lancé, je le sais.
Km 38 : 5’38. Ca fait bien longtemps maintenant que j’ai arrêté de faire des efforts dans les côtes. Celle là n’y dérogera pas. Je me rapproche du bord de la route pour taper dans les mains et les champis. Si je le fais pas maintenant je me mordrai les doigts d’avoir traversé cette épreuve sans vraiment y participer…
Km 39 : 4’57. Une grosse descente me permet de d’accélérer. Ca fait longtemps que je remarque que les panneaux kilométriques affichés tout au long du parcours, ne correspondent pas à ce qu’indique ma montre. J’ai un écart de 500 mètres et je suis incapable de dire si ça va s’ajuster à l’arrivée ou si je vais courir 500 mètres de plus. Mais si je veux réaliser mon deuxième meilleur temps, ça pourrait se jouer à la minute près.
Km 40 : 5’15. Alors que la ligne d’arrivée se rapproche, mon prénom fuse dans tous les sens. Il y a des coureurs autour de moi mais nous sommes moins nombreux. On entend « c’est l’arrivée », « dernière ligne droite », « bravo ». Putain ! Allez…
Km 41 : 5’17. De nombreux coureurs sont à l’arrêt. Une dizaine peut-être. Si proches de l’arrivée… Je pense pouvoir terminer sous la barre des 3h35. Enfin, si je me fie à ma montre, je devrais même être en dessous des 3h34 au bout des 42,2 kilomètres. Mais il y a toujours ce problème de panneau. Cet écart colossal de 500 mètres.
Km 42 : 5’12. Nous sommes de retour sur le Vieux Port. Je regarde enfin autour. Il y a un monde phénoménal. Une foule en feu qui crie à s’en péter les cordes vocales. L’émotion monte enfin. Trop tard. Hélas, je n’ai pas les jambes pour un sprint final. « Allez Josselin, allez Josselin !!! » J’entend hurler mon prénom. Je tourne la tête. Céline vient de m’arracher pour premier sourire de la course. Nous étions ensemble à l’école maternelle et aujourd’hui, on se croise régulièrement au détour d’une course, on n’a généralement même pas le temps de discuter, on s’envoie des messages après. Je sais que je la croiserai de nouveau sur le Bazas-Langon.

Je passe la ligne d’arrivée en 3h35min44s. Ma montre affiche 500 mètres de trop, mais tant pis. Le contrat n’est pas rempli et j’ai du mal à me satisfaire de ce huitième marathon. Une bénévole me félicite et me met la médaille du 34ème marathon de La Rochelle autour du cou. Je la prends, je la regarde… et merde. Elle est éclatée au sol. En forme de coquille d’huître. Ça me fout les nerfs.
Je récupère mes goodies, mon sac à la consigne, et je m’isole en attendant Jordan. J’ouvre mon téléphone pour le suivre. Merde, ça ne passe pas pour lui non plus. Il termine en 4h04min42s, mais c’est quand même son record au marathon. Jeff, contrairement à ce qu’il avait annoncé, finit en 5h46min36s. Et Aurélien, lui, explose tout : 2h54min33s, contrat rempli largement.
Ce soir, je ferme beaucoup de chapitres. Je termine l’année avec un goût amer, mais je n’oublie pas qu’elle a été forte. Merci à vous de me lire. J’avais commencé l’année avec le trail des Valentin, en disant que ce blog avait battu tous les records en 2024. Je peux déjà dire que 2025 a tout explosé et que les stats se sont envolées. On se retrouvera, c’est sûr, au Bazas-Langon le 1er mars, et à Bordeaux le 8 novembre…

