2018·BLOG·Montagne

Refuge Jean Arlaud 2018

Bonjour tout le monde,
Aujourd’hui je vais vous raconter ma dernière randonnée en solo au lac et refuge Jean Arlaud dans les Hautes Pyrénées.


Randonnée au lac du Portillon from Josselin Martineau on Vimeo.

Le point de départ de cette randonnée est l’un des plus célèbres puisqu’il faut passer par le lac d’Oô pour monter au Portillon. Le lac d’Oô est probablement l’une des randonnées les plus pratiquées, car en plus d’être très facile, elle permet aux marcheurs de tous niveaux de voir l’un des plus beaux lacs des Pyrénées en une heure à peine. Attention cependant, si vous avez l’intention de monter au lac d’Oô en pleine saison, sachez d’avance que vous serez nombreux à avoir la même idée.

Me concernant, je me suis lancé le 10 octobre dans de mauvaises conditions météorologiques, et je n’ai croisé personne sur le sentier.

Après un départ à 4h30 de Bordeaux, j’arrive à environ 7h30 aux Granges d’Astau, point de départ de la randonnée à 1123m. J’allume la frontale et commence à monter en direction du lac d’Oô. Je suis en forme et avance à bon train. Outre le froid, j’ai de la chance, il ne pleut pas et le vent ne frappe pas encore. Pourtant j’ai vu la météo, et je sais d’avance que le temps va évoluer au fil de la journée. Je préfère ne pas y penser. Le jour se lève vite. Quelques nuages, rien de méchant, mais je m’inquiète de voir que les premières neiges sont tombées sur les sommets, et surtout qu’elles ont tenu. J’espère ne pas avoir à marcher dans la neige car je ne suis pas équipé pour.

Après 50 minutes de marche, me voilà déjà devant le somptueux lac d’Oô (1504m). J’y étais déjà monté en avril 2017 avec mon ami Yoan, mais le brouillard nous avait empêchés de contempler cette merveille. En plus, les neiges n’avaient pas encore fondu, et comme nous l’avions supposé, le lac était probablement vide. Je reste là un moment, le temps de faire quelques vidéos avant de reprendre le chemin en direction du lac d’Espingo, prochaine étape de ma randonnée.

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Lac d’Oô

Je suis agréablement surpris, le chemin est bien tracé, et malgré quelques passages un peu raides, j’arrive au lac d’Espingo (1950m) sans la moindre difficulté. Je me réjouis de la chance que j’ai. Pas une seule goutte de pluie à l’horizon. Mais je n’ai pas envie de m’éterniser, je ne prends même pas la peine de descendre voir le lac de plus près. Il me faudra quelques minutes de marche avant d’atteindre le lac de Saussat. Il est à peu près au même niveau que celui d’Espingo.

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Lac de Saussat

Je contourne le lac de Saussat sous les premières pluies. Rien de bien violent, je prends quelques secondes pour étanchéiser mon sac. Je ne sais pas encore que je ne pourrai plus ressortir mon appareil photo de la journée.

Les choses se compliquent. Après avoir laissé le lac de Saussat derrière moi, me voilà en train d’attaquer une longue ascension assez vertigineuse. Je passe à côté des premières neiges qui n’ont pas encore gagné le sentier. C’est déjà ça. Mais le vent se lève. Il souffle assez fort, et je crains que ça soit de pire en pire avec l’altitude. Je serre ma capuche et ne regarde surtout pas en bas. Je souffre encore beaucoup du vertige, et je sais que je serais rongé par l’inquiétude si je devais regarder la vallée. Je monte haut, mais l’effort n’est pas insurmontable. Pour l’instant.

J’ai parlé trop vite. La boule au ventre, il me faudra une bonne quinzaine de minutes avant de comprendre que je n’irai pas plus loin. Je me parle. « Si tu mets d’abord le pied droit, et que tu t’accroches avec les mains, tu peux poser le pied gauche sur cette prise et te donner une impulsion pour atteindre le sentier ». J’étudie toutes les solutions. Ici, le sentier est coupé sur deux mètres. Un rocher, deux ou trois prises, mouillées qui plus est, et en bas, le vide. Mon pied ou ma main glisse, je suis mort. Par beau temps à la limite, mais là, ça ne sert à rien d’insister, je ne le sens pas.

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Le sentier est coupé sur 2 mètres

C’est décidé, je fais demi-tour. La déception est absolue, mais je crois avoir pris la bonne décision. Je rumine. Je continue de me parler. « C’était un coup à tomber dans le vide. Et puis avec ton sac de 10 kilos, t’aurais rien pu faire. Quel dommage ». Je regrette déjà. Cela fait déjà dix minutes que j’ai attaqué la descente que je commence à douter d’avoir bien analysé toutes les possibilités. Je ne dis pas que je vais passer cette fois, mais je veux revoir ce passage. Je veux comprendre. Le revoilà, je l’ai reconnu de loin. En avançant, tout s’éclaire. « Tac tac, d’abord le pied gauche, la main droite ici, tu ne regardes pas en bas, tu poses la main gauche, le pied droit, une petite impulsion et hop ! » J’ai réussi ! Je danserais presque sur place tant ma joie est immense. Mais j’y pense, si ça s’empirait en montant ?

Alors que je commence à craindre d’avoir à franchir de nouveaux passages escarpés, la pluie et le vent s’associent pour faire de ma randonnée un cauchemar. Le vent devient si fort, qu’à chaque bourrasque, je suis contraint de m’accrocher à un rocher pour ne pas me laisser emporter. Et les bourrasques se font de plus en plus régulières. Je suis obligé de ralentir considérablement le rythme de mon ascension. Je regarde mes pieds et chaque pas est une victoire. Je suis les cairns (tas de cailloux disposés par les randonneurs pour baliser le chemin) sans me préoccuper du sentier. Heureusement pour moi, en plus d’être bien tracé, le chemin est très bien cairné. Toujours contre vent et pluie, je descends le long de grands rochers en direction de la cascade qui, je l’espère, mène droit au Portillon. Je glisse. Une fois, deux fois. Je suis obligé d’avancer sur la neige tout en me protégeant du vent. Je réalise que le plaisir a disparu depuis bien longtemps.

J’arrive vers la cascade qui coule en abondance formant un large ruisseau. Les cairns sont très rares. Je ne vois pas le passage. S’il faut passer à droite, je vais devoir escalader pendant un moment. Pour voir le côté gauche, je n’ai pas d’autre choix que de traverser le ruisseau. Je réfléchis un moment. Mouillé pour mouillé, j’enfonce mes pieds dans l’eau glaciale. J’évolue quelques secondes vers la cascade qui coule sur un mur de 100 mètres de hauteur au moins. Impossible de ce côté-ci. Je reviens alors de l’autre côté et commence l’escalade des rochers. Ce qui m’inquiète, c’est que je ne vois aucun cairn à l’horizon. Je suis bloqué. Je ne comprends pas où je dois passer. Une chose est sûre, je ne peux pas aller plus loin. Peut-être ai-je mal analysé le côté gauche ? J’y retourne. Mes pieds sont trempés, mais à l’heure qu’il est, c’est bien là le cadet de mes soucis. Définitivement non. L’ascension n’est pas possible. Seul au milieu de la montagne, je me permets de crier quelques vulgarités dont je garderai le secret.

J’abandonne. Ras le cul ! Mes jambes suivent encore mais pas le moral. Je décide de redescendre vers le refuge d’Espingo. Je dois remonter les rochers glissants et enneigés. Je glisse encore. Tant pis. Je suis déterminé à rentrer alors j’accélère. Super, je retrouve vite le sentier. Comment se fait-il que je retrouve le sentier d’ailleurs ? Je lève les yeux et comprends que j’ai quitté le circuit depuis un moment. En même temps, de tous les itinéraires que j’avais lus, aucun ne mentionnait l’ascension de la cascade en direction du lac. Bêtement, j’ai suivi deux ou trois cairns qui menaient dans la mauvaise direction. J’ai perdu beaucoup de temps, mais je retrouve un peu de moral. Suffisamment pour aller plus haut finalement.

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Végétation humide

La montée est raide, mais loin et haut, je peux enfin voir le barrage du lac. Allez ! Je sais que ça ne va pas être facile mais je me motive. Le chemin est étroit. Je préfère ne pas regarder le vide en dessous. Dès que j’entends une bourrasque, je me cramponne au premier rocher. Trop tard. Je suis tombé par terre. Heureusement, j’ai eu le réflexe de tomber du bon côté, contre la paroi. Le vent vient littéralement de me balayer. Mon cœur s’emballe. J’ai beau faire attention à chaque pas, je réalise que si la nature le décide autrement, je ne ferai pas le poids. Je ne me relève pas. Je suis tétanisé. Je sais qu’il serait plus prudent de redescendre, mais maintenant que j’ai mon objectif en vue, rien ne pourra m’arrêter. J’arrive enfin sur un immense replat qui mène à la dernière ascension avant le refuge. Parce que oui, je vois enfin le refuge, et aussi petit soit-il de là où je suis, je vois le gardien qui me regarde par la fenêtre. Alors que j’escalade la dernière paroi, la grêle se met à frapper mon visage. Ce sont de tous petits grêlons, qui avec la force du vent, font très mal.

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Moi devant le lac du Portillon

Encore un effort, et me voilà sur le sentier du refuge. 50 mètres à peine me séparent de mon objectif. J’avance dans la neige, traumatisé par l’ascension que je viens de faire. Je suis à 2571 mètres d’altitude, soit un dénivelé total de 1448 mètres. Une première pour moi. J’ouvre enfin la porte du refuge, et alors que je suis en train de me déchausser, le gardien arrive à ma rencontre. Il est là depuis le mois de mai. Le refuge du Portillon est un refuge très prisé car il est le point de départ de nombreuses ascensions de sommets de plus de 3000 mètres. Alors qu’il commence à me faire visiter les lieux et à me montrer mon dortoir, je l’arrête. Finalement, je ne suis plus très sûr de vouloir dormir ici cette nuit. Pour deux raisons.

La météo de demain sera pire. Il va encore probablement neiger cette nuit et je ne me vois pas redescendre à travers plus de neige que j’en ai eue pour monter. La deuxième raison est que j’ai déjà la boule au ventre à l’idée de redescendre. Ces passages escarpés, ce vent, cette pluie, si je reste ici, je sais que je ne vais pas dormir. Régis comprend que je ne suis pas un randonneur professionnel. Il réalise que cette ascension si anodine et banale pour lui fut un véritable exploit pour moi. Il me conforte dans mon idée et me propose un chocolat chaud avant de prendre une décision définitive. Comme ils le disent en haute montagne, le vent « bastonne » violemment le refuge. Je suis encore hésitant. Mais si la météo annonce pire demain, j’ai peur de ne pas y arriver. On discute un moment. Son gardiennage annuel va s’arrêter le 15 octobre. Encore cinq jours… Il lui tarde de revenir à la civilisation, d’autant que les randonneurs se font rares.

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Chocolat chaud au refuge du Portillon

Le chocolat est délicieux et me fait un bien fou. Je retrouve le moral et décide de redescendre passer la nuit au refuge d’Espingo. Régis se chargera de les appeler pour les prévenir de mon arrivée. Je le remercie mille fois pour son accueil et retourne à l’extérieur. Les conditions se sont dégradées durant ma brève escale. Le vent souffle toujours autant, la grêle est toujours abondante et la neige commence à tomber et à tenir sur le sol. Je monte tout de même voir le lac juste au-dessus du refuge. Histoire de… Je reste trente secondes à peine avant de me précipiter vers la descente. J’ai encore du temps avant la tombée de la nuit. Surtout, je fais attention au vent. Je redescends vers le replat mais ça bastonne dur, à tel point que la poche d’étanchéité de mon sac s’envole. Je la vois juste en dessous coincée entre deux rochers. Moi aussi je suis coincé. Je n’ai pas pris le même passage qu’à l’aller et je viens de descendre une paroi que je ne peux pas remonter. La paroi juste en dessous est verticale. Elle fait à peine deux mètres cinquante, mais si je me laisse glisser sur le dos, mon sac m’entraîne en avant. Je tente deux fois. En vain. Je suis à nouveau tétanisé, incapable de bouger. Je n’ai pas d’autre solution que de m’asseoir dans la flaque entre les deux parois pour respirer et reprendre mes esprits. Je dois faire vite si je veux avoir une chance de récupérer ma poche d’étanchéité. J’ai le derrière trempé. Qu’est-ce que je fous là ?

Je n’ai pas le choix, je dois jeter mon sac dans la neige pour me laisser glisser sans risquer de tomber en avant. Je donne de l’élan à mon sac, je vise, je lance. Je me laisse lentement glisser. C’est déjà trop tard. J’ai beau remettre la poche d’étanchéité sur mon sac, dans la neige, il a pris l’eau. Je crains le pire pour mes affaires de rechange. La descente me paraît une éternité. La grêle me frappe encore et cette expérience entre deux parois m’a fait perdre tout mon moral. Je réalise que toute la pluie tombée coule le long du sentier formant des ruisseaux que je n’avais pas eu à traverser durant la montée. Encore une fois, je suis contraint de mouiller mes chaussures.

J’appréhende à l’idée de retrouver le passage où le sentier est coupé sur deux mètres. En descente, j’ai beaucoup plus conscience du vide en dessous de moi. Voilà le passage. Je ne me souviens plus de la façon dont j’ai réussi à le franchir à l’aller. Je n’ai pas envie d’y réfléchir. J’attends quelques secondes que le vent se calme et, ni une ni deux, je fonce. Un pied, une main, une deuxième main, un autre pied, pourquoi tant de questions ? Ce n’était pas si compliqué après tout. Je hâte le pas. Je suis déjà trempé de la tête aux pieds, inutile de me préserver à présent. La vue d’en haut est vertigineuse. Une fois arrivé en bas, au lac de Saussat, je prends le temps de regarder le chemin que je viens de faire. Une montée qui paraît impressionnante à flanc de montagne. Je peux enfin me réjouir d’avoir écarté tous les dangers. Je le sais à présent, je suis en sécurité. Soulagé d’en avoir terminé pour aujourd’hui, je fonce vers le refuge d’Espingo.

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Moi devant le lac d’Espingo

Une jeune femme m’accueille, puis le gardien. Je mets mes affaires dans une panière car les sacs sont interdits à l’intérieur du refuge. Mon sac passera la nuit avec mes chaussures dans le sas d’entrée. Comme je le redoutais, toutes mes affaires de rechange sont trempées, c’est une catastrophe. Un radiateur sèchera mon sweat durant la nuit, pour le reste, il faudra faire avec des fringues humides demain. La jeune femme me fait faire le tour du refuge et me montre mon dortoir ainsi que les sanitaires. Après avoir étendu quelques affaires dans le dortoir humide et froid, je les rejoins dans la salle de restauration. Je suis épuisé. J’ai perdu la notion du temps depuis bien longtemps. Je refuse le repas. Cette succession de boules dans le ventre m’a fait perdre l’appétit. Je prends tout de même une bière avant de rejoindre mon dortoir. Il n’est que 19h30 quand je m’enfonce dans mon lit muni de deux couettes. J’ai terriblement froid. Je ne sens plus mes pieds. Je parviens à m’endormir recroquevillé, les pieds dans les mains, dans l’espoir de les réchauffer. Je tremble. Heureusement, j’ai réussi à avoir suffisamment de réseau pour envoyer un message à ma femme. Je sais qu’elle s’inquiète, et je donnerais cher pour être avec elle.

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Une bière au refuge

Je dors par intermittences. Le froid me réveille tout au long de la nuit. Je vois passer presque toutes les heures. Mon réveil sonne. Il est 7 heures. J’ai terriblement mal aux genoux. Ce n’est pas à cause de la randonnée de la veille mais plutôt de la façon dont ils sont restés pliés toute la nuit pour que mes mains atteignent mes pieds. Je descends dans la salle de restauration à la demie. Un petit déjeuner m’attend sur l’une des grandes tables. Je remercie le gardien. Je n’ai toujours pas d’appétit mais je me force à manger quelques tartines. Finalement, cette collation me fait un bien fou.

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Vue sur le lac d’Oô en redescendant d’Espingo

Je suis prêt à partir. Malgré les épreuves, je me sens nostalgique à l’idée de redescendre. Mon pantalon est presque sec. En revanche, en enfilant mes chaussures, je réalise qu’elles n’ont pas séché le moins du monde. Je ne suis même pas parti que mes pieds sont déjà trempés. Le jour se lève. Malgré quelques nuages, il ne pleut pas. C’est déjà ça. J’entame ma descente avec les mêmes bourrasques de vent que la veille. Il a plu toute la nuit et le sentier est très humide. Je croise un randonneur entre Espingo et Oô, on discute un moment. Il monte jusqu’au Portillon dans le but de faire deux sommets à 3000 entre aujourd’hui et demain. C’est un habitué, il sait à quoi s’attendre. Après tout ce que je viens de traverser, je suis impressionné. Je ne doute pas un jour d’avoir l’équipement et les capacités pour faire l’ascension de quelques sommets pyrénéens. Mais d’abord, il faudra soigner mon vertige. Je vois les progrès que j’ai faits à ce niveau-là, mais j’ai encore du travail.

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Seul face au lac d’Oô

Je reste plus d’une heure au lac d’Oô. Je profite de ces derniers instants au cœur d’une montagne magnifique. J’ai déjà oublié les épreuves de la veille. Il me tarde à présent de revenir l’année prochaine. Quels objectifs vais-je à nouveau me fixer ? Oui, c’est une certitude, je reviendrai au Portillon. Je ne m’arrêterai pas là cette fois. L’envie d’aller chatouiller les 3000 sera trop forte. Entre la montagne et moi, je ne saurais dire lequel a vaincu l’autre. Match nul. Pour la suite, on verra l’année prochaine.

4 commentaires sur “Refuge Jean Arlaud 2018

  1. Hello loulou 😉
    Non mais quelle histoire !!!
    Une chose est sûre Joss je prend toujours autant de plaisir a te lire, comme les articles que tu faisais pour le journal du lycée.
    Vivement l’année prochaine pour les suites de cette aventure halletante .
    Des bisous
    Joanne

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